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Adélaïde's accounts
16 juillet 2009

MEURTRES AU BOUT DU MONDE ( Chapitres 1 & 2 )

PREMIER CHAPITRE

- Evidemment , voilà un rayon de soleil maintenant ,  peste mon frère !

- Un peu tardif , en effet dis-je en regardant mon imperméable très humide .

- Tu devrais l'enlever , tu sais bien que l'humidité ne te sied pas !

- Tu as raison ! Et aussitôt , je me contorsionne à l'avant du J 7 , pour ôter mon imperméable , en me retournant pour chercher un endroit pour le poser , mes yeux caressent amoureusement l'acquisition que je viens de faire , à savoir une magnifique table pétrin en chêne massif dont les pieds et le pourtour du coffre sont ornés d'une originale et superbe sculpture d'épis de blé entrelaçant des couronnes de fleurs . J'aime beaucoup !

- Quelle mauvaise diction avait ce notaire, tu as remarqué dis-je en m'asseyant correctement !

- Si mauvaise , qu'au début , j'étais persuadé qu'il ne parlait pas français et sa manie de donner les enchères en centimes , pratique !

- Ah ça par contre , ça m'arrangeait plutôt , quoique je l'avoue les chiffres ronds jusqu'à neuf cent cinquante me parlent beaucoup plus maintenant , tu vois , je m'améliore dis-je en riant .

- Dis plutôt que tu es paresseuse et que tu ne fais aucun effort !

- Figure-toi que pour moi un million signifie quelque chose , tandis que.......

- Dix mille francs !

- Merci , j'étais en train d'ôter mes deux zéros , et bien donc dix mille francs , ça ne m'exprime rien du tout , sinon les anciens cent francs dans mon esprit buté et ringard !

- Je sais , je vois , inutile d'épiloguer sur ce sujet épineux ! Crois-tu que j'ai eu tort d'acheter ce petit service aux cerises ?

- Mais non voyons , il est tout à fait charmant et a un petit air printanier qui nous égaiera au plus noir de l'hiver .

- J'avais plutôt l'intention d'en faire le service pour le jardin , au fait combien de tasses ai-je ?

- J'en ai compté six , mais l'une est fendue et une autre est ébréchée !

- Que veux-tu , avec tous ces gens qui tripotent les objets mis aux enchères , ça ne m'étonne pas . J'ai repéré une femme , tu l'as sûrement vue, elle était vêtue d'un tailleur orangé et touchait à tout avec un air niais , je me demande comment personne ne lui a fait de réflexion !

- Je ne pense pas l'avoir vue mais je m'interroge encore sur les risques que nous avons encourus en allant visiter le premier étage de cette maison . J'ai eu si peur que le plancher ne s'effondre sous le poids de toute cette foule , qu'en fait , je n'ai rien vu et je suis redescendue presque aussitôt . Quelle inconscience !

- Véridique , moi aussi , j'ai fait demi-tour rapidement et c'est d'ailleurs à ce moment que je t'ai retrouvée enfin . Veux-tu m'allumer une cigarette ?

- Bien sûr , c'est la faute du notaire si nous avons été séparés. Quand il a voulu que nous nous écartions pour libérer un passage central , je lorgnais la table pétrin et la foule m'a déportée sur la droite , sans que je puisse résister .

- Plus que dix kilomètres et nous arrivons , j'en ai plein les bras de ce bahut !

- Tu veux que je prenne le volant ?

- Non , non , ce n'est pas ça , mais j'ai hâte d'être à la maison .

- Moi aussi , une bonne tasse de thé sera la bienvenue , j'ai bien peur d'avoir récupéré ma fichue sinusite .

- Arrête de te faire des idées et de te croire toujours à l'agonie , tu m'énerves quand tu raisonnes ainsi , bêtement .

- Bon, bon , je me tais !

Gilles conduit le J7 , sans parler , sa petite moue irritée aux lèvres , ça me fait sourire ! Mes yeux errent sur le paysage familier, on domine bien dans le fourgon et je foule du regard , les orges , les blés et le maïs qui pousse bien vert  . Le soleil revenu , joue avec les ors des céréales , se rafraîchissant dans les tons verts du maïs et des pâtures dans lesquelles paissent de grands troupeaux de vaches aux pis gonflés .

L'heure de la traite, ne doit plus être très loin , il doit être , je dis :  il doit être car je n'ai pas de montre, presque dix-sept heures, ça chauffe dans le véhicule, la chaleur humide d'un après - midi de juillet après la pluie .

- Qu'est-ce que c'est cette foule ?

Gilles me sort de mes pensées.

- Où ça ?.........Mais ......

- Oui , c'est devant chez nous !

- Nom d'un chien , Lola !

- Quoi Lola ?

- Elle a du s'échapper et occasionner un accident dis-je , le coeur serré .

- Ne dis pas n'importe quoi ! Une pouliche de deux ans , même super douée en saut , ne peut franchir un portail d'un mètre soixante -quinze, lorsqu'elle même ne mesure qu'un mètre quarante -deux au garrot , et puis de toute façon , j'ai branché la clôture électrique avant de partir !

Mon frère m'a rassurée sans me rassurer en fait ! On avance au pas des piétons . Je regarde en écarquillant mes yeux , me redressant et me penchant en avant sur mon siège , mais je ne distingue rien , ni voiture accidentée , ni piéton renversé , par contre je vois des képis !

- Ils ont l'air de regarder à travers le portail dit mon frère , mais bon dieu , ils vont se pousser !

- Ne klaxonne pas! ça ....ça ne fera pas bien dis-je rapidement .....

- Oh toi ! Marmonne-t-il !

Notre voisin d'en face , Mr Salaün nous a aperçus , il le dit aux gendarmes. L'un d'entre eux fait écarter la foule des curieux , non sans peine d'ailleurs et Gilles peut faire avancer le fourgon jusqu'au chef qui lui fait signe de s'arrêter là  . Nous descendons ensemble .

- Vous êtes madame Vaughan, me demande le représentant de la loi ?

- Oui , c'est bien moi !

Je dois être pâle à faire peur et mes jambes ont du mal à avancer .

- C'est donc vous la propriétaire de cette maison continue-t-il , comme j'arrive à sa hauteur ?

- Oui !.....oui , mais que se passe-t-il monsieur , pourquoi tout ceci ?

- Il se passe madame , qu'il y a un homme étendu dans votre allée et d'après son visage que nous avons observé à l'aide de nos jumelles , il a tout l'air d'être mort .

- Oh mon dieu , dis-je en portant la main à mon coeur , mais au fond de moi-même , inconsciemment , ça va mieux ! Qui est-ce ?

- Comment voulez-vous que je le sache me répond mon interlocuteur , ajoutant , ce serait plutôt à moi de vous poser cette question , je crois !

- Euh....Evidemment !

Gilles , l'oeil collé dans l'intervalle de deux planches du portail , se retourne juste à ce moment, j'esquisse un mouvement interrogatif de la tête, il me répond par une mimique négative et un haussement d'épaules significatif  . Mais , c'est qui à la fin ?

- Vous êtes ? C'est le gendarme qui s'adresse à Gilles .

- Mon frère dis-je , d'un ton que je trouve fort peu de circonstances !

C'est triste à dire , mais je me sens de moins en moins concernée, tant que ça ne touche pas de près ou de loin mon petit univers , ou ma petite santé , je me sens spectatrice ....comme les autres après tout ! Ma petite once d'égoïsme !

Gilles revient du fourgon avec la clef du portail , je suis sûr qu'il est aussi détaché que moi , mais contrairement à ma chère personne , il sait se rendre utile et fait les gestes qu'il faut ! Les deux battants sont ouverts , deux gendarmes contiennent les curieux qui se dévissent le cou pour mieux voir .Le chef parle à Gilles , je comprends plutôt que je n'entends......"....la vue de son mari......"

- Mais dis-je , je suis veuve depuis cinq ans , il n'y a que trois hommes dans cette maison : mon frère , Thomas mon fils de quinze ans, actuellement en stage et Paul , le jardinier , également en vacances.........donc.......je n'ai aucune envie d'aller regarder ......ce mort .....de près !

- Comme vous voulez , dit-il et regardant mon frère , et vous ?

- Je vous accompagne dit Gilles .

Je les regarde avancer vers le corps étendu à une trentaine de mètres de l'entrée puis je me retourne vers le gendarme le plus proche de moi et lui fais savoir mon intention de rentrer à la maison .

- Mais me dit-il , je croyais que vous ne vouliez pas voir le corps ?

- Non , bien sûr , mais je vais passer par les écuries , je voulais seulement vous prévenir .

- Entendu , répond-il !

Je me dirige vers le J7 pour prendre mon sac à main et la sacoche de Gilles, je ferme les portes à clef et en passant près du gendarme , je lui remets les clefs , lui demandant de bien vouloir les donner à mon frère à son retour .

   En bifurquant sur la droite par l'allée des communs , ce sont les enfants qui pour s'amuser ont donné des noms à toutes nos allées , j'ai le temps d'apercevoir Gilles et le représentant de la loi , penchés sur le corps de l'homme mort .Quelle horreur me dis-je et chez moi , par dessus le marché ! Mais au fait , il est entré par effraction , à moins que Mellie , nom d'un chien , ça y est je panique à nouveau , Mellie , ma nourrice , ma confidente , ma cuisinière , le pilier central de ma maison , mon dieu , pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé ! Je presse le pas et débouche sur la pâture de Lola qui broute tranquillement au centre, me tournant le dos . Volte-face rapide de la jument , oreilles pointées dans ma direction, je suis en train de ramper sous le fil de clôture .

- Ma biche , c'est moi !

L'inquiétude a disparu , elle déboule au galop dans ma direction , la queue fièrement relevée .

- Oh la , là fifille , doucement fifille !

Elle s'arrête, sent ma main qui se pose sur le velours de ses naseaux , la repousse , la cherche de ses lèvres chaudes , douces et mobiles puis se met à la lécher .

- Ma chérie , dis-je en l'embrassant sur le bout du nez , je me suis fait du souci pour toi!

Elle se dégage de mon étreinte d'un vif mouvement d'encolure et me regarde de ses grands yeux marron . Je la laisse et je continue la traversée du champ, j'aperçois juste le coin de la terrasse quand Lola me rejoint au galop . J'essaie de l'attraper par son licol , mais elle refuse mon geste en bondissant de côté . Quelle peste, elle veut toujours jouer , cependant actuellement , le moment est mal choisi . Je la calme à la voix mais rien n'y fait , à un moment donné , elle se pointe littéralement au ras de mon nez, je me fâche naturellement et donne des ordres mais ma possédée du démon s'en moque complètement , elle galope en cercle autour de moi , s'arrête au milieu de tout, tourne sa croupe dans ma direction et décroche des ruades au ciel , la diablesse veut m'impressionner, elle a besoin qu'on s'occupe sérieusement d'elle , il faut lui donner rapidement des notions de dressage . Je sais bien que c'est une invitation au jeu , mais c'est une pouliche qui a énormément de caractère , alors , surtout ne pas le lui casser mais essayer de la civiliser un peu plus !

- Ah , vous voilà !

Dieu soit loué , Mellie est saine et sauve !

- Hello , fais-je dans sa direction !

Puis tout en bifurquant sur la gauche , je rampe à nouveau sous le fil de clôture .Lola , au trot suit ma progression de l'autre côté du fil , je la quitte en m'enfonçant sous les branches des prunus et j'émerge au pied de la terrasse d'où Mellie me regarde en souriant .

- Leslie a téléphoné tout à l'heure , il pleut à Nice et elle s'ennuyait , elle était déçue de votre absence et m'a fait promettre de te dire de la rappeler ce soir , commission faite , et vous ? cette vente ?

Intarrissable Mellie , irremplaçable Mellie , quelle joie de la voir là !

- Mais tu es toute pâlotte , tu es malade ?

Je l'interromps :

- Et toi , ta journée ?

- Le calme parfait  !

Elle est toute surprise , j'ai du prendre mon air des mauvais jours .

- Je n'ai été dérangée par personne à part le coup de fil de Leslie à quatorze heures trente . Je suis sûre que c'est votre repas au restaurant qui vous donne cette mauvaise mine enchaîne-t-elle .......

Je stoppe immédiatement sa litanie sur la mauvaise qualité de la nourriture dans les restaurants de nos jours, c'est toujours la même et je la connais par coeur !

- Et bien figure-toi ma chère Mellie ....euh , attends , assieds -toi, là ,  tiens ............

Elle est solide ma vieille Mellie , mais j'y tiens tant qu'il faut que je la ménage !

- Je disais donc , figure-toi qu'il y a un homme mort , dans notre allée !

Elle écarquille les yeux , me regarde comme si mon repas de midi me donnait des hallucinations et finit par articuler :

- Jésus , Marie , Joseph , qu'est-ce que tu dis ?

- La vérité , mais ne t'en fais pas , on ne le connait pas ! Gilles est resté avec le chef des gendarmes pour l'identifier , mais c'est un inconnu !

- ça alors , dit Mellie , un cadavre chez nous à quelques mètres de moi , j'en ai les jambes coupées tiens !

Les jambes peut-être mais sûrement pas la langue , au contraire , Mellie se surpasse . Aux lamentations succèdent ses interrogations étonnées . Elle jure , Dieu est témoin, qu'elle n'a rien entendu , ni les chiens n'ont plus d'ailleurs , ni Lola ! Pour les chiens ça ne m'étonne pas, il pleuvait , alors bien sûr , ils faisaient salon . Pour Lola , je suis plus sceptique , mais de toute façon , on ne lui demandera pas de témoigner !

- C'est quand même un monde , tonitrue Mellie , de venir tuer des gens chez les honnêtes gens , c'en est même honteux !

Cette fois-ci , elle est scandalisée !

- Absolument , réponse qui ne m'engage que très peu ! Tu sais ce qui me ferait plaisir , lui dis-je avec un grand sourire ?

Elle s'arrête dans sa tirade , plisse ses petits yeux bleus derrière ses lunettes , la bouche encore entrouverte ....

- Une grande tasse de thé ? Tout de suite , d'ailleurs j'en ai de prêt mais je vais mettre de l'eau à chauffer pour en refaire , je pense qu'on en aura besoin !

- ça c'est bien vrai dis-je !

Apparemment ses jambes fonctionnent à merveille , sacrée Mellie , voilà au moins de quoi animer sa cuisine pendant plus d'un mois !

  Que d'émotions , je souffle un peu , je n'ai qu'une hâte , déballer , palper et contempler nos achats , mais hélas , il va falloir encore patienter avant de vivre ce moment que j'attends avec beaucoup d'impatience !Je cherche des yeux mon sac à main, j'ai envie d'une cigarette , il semble introuvable , Mellie a du le ranger . Je me lève  et pénètre dans la salle , je prends un paquet de cigarettes et un briquet dans le tiroir du vaisselier et ressors sur la terrasse , il fait si bon . Le soleil est revenu , le ciel bien lavé est bleu . J'allume ma cigarette et m'asseois sur le muretin  qui court tout autour de la terrasse . Mon géranium à parfum de citronnelle que j'ai du frôler en m'asseyant , manifeste sa présence en exhalant son adorable parfum citronné . Je cueille une feuille et la froisse entre mes doigts , la senteur particulière qui s'en dégage me détend !

  D'ici je ne vois pas l'entrée , plusieurs massifs et en particulier des pins et des eucalyptus me la masquent . Une pelouse bordée par une mixed-border s'étend à mes pieds , à droite , le début de l'allée bifurque rapidement sous les frondaisons des bouleaux, eucalyptus et cryptomérias . A gauche à travers les prunus , je vois la pâture de Lola , celle-ci secoue quelque chose , balançant son encolure , vivement de gauche à droite , je constate avec horreur qu'il s'agit de mon sac à main !

Je cours vers la pâture aussi vite que je peux , Lola s'en donne à coeur joie mais surprise par mon arrivée , elle abandonne mon bien , je le récupère et me rends compte que la bandoulière a très mauvaise mine . La sacoche de Gilles est un peu plus loin sur l'herbe , visiblement , elle n'a pas souffert , elle , tant mieux ! J'ai du les poser en rampant sous le fil de clôture tout à l'heure et distraite par Lola , je n'y ai plus pensé !

  Lorsque je reviens , le thé est servi et le J7 débouche de l'allée centrale s'arrêtant au bas des marches , Gilles et le gendarme en chef en descendent . J'invite ce dernier à s'asseoir et lui propose une tasse de thé , après plusieurs refus , il finit par accepter une tasse de café et un autre gendarme vient se joindre à notre groupe .

- Il va falloir venir voir le corps , me dit le chef .

- Est-ce vraiment nécessaire , je n'en ai aucune envie ?

- Ne connaissant pas cet homme dit mon frère , je peux affirmer que ma soeur ne le connaît pas !

- Ecoutez , dis-je , prise d'une soudaine inspiration , prenez des photos et montrez-moi les , cela m'impressionnera moins , mais si Gilles affirme ne pas le connaître , il y a peu de chance que j'ai déjà rencontré cet homme ! Alors d'accord pour les photos ?

Il finit par se ranger à mon idée !

- Mais , me dit-il , il faut que vous et votre frère vous me donniez votre emploi du temps de la journée .

Je me sens agressée, nom , prénom , date de naissance , nous voilà dans l'engrenage ! C'est quand même fabuleux , un type qu'on ne connaît  ni d'Adam ni d'Eve a le mauvais goût de venir mourir ou de se faire descendre chez moi et toc de mère de famille sans histoire , je descends aussitôt au rang de suspecte . Je vois déjà le moment où je vais me retrouver en garde à vue , à cause de cet homme de loi qui plus je le regarde , moins il m'inspire et en plus il paraît têtu et entêté !  Mellie l'air pincé sert le café à ces messieurs  .

- Vous étiez ici , vous madame ?

Attention Mellie est sur la sellette !

- C'est exact monsieur , je n'ai pas bougé de la maison aujourd'hui , répond très calmement Mellie

L'adjoint sort un carnet de sa poche intérieure , il va tout consigner , c'est l'interrogatoire .

- Nom , prénom , âge , qualité ?

Mellie s'exécute docilement :

- Beaudoin , Mélanie , soixante ans , cuisinière........

- Elle m'a vu naître dis-je .......

- Donc , reprend le chef , sans même me jeter un regard pour mon intervention , ce matin vous vous êtes levée .....

- A sept heures et demie , comme d'habitude monsieur , j'ai fait ma toilette , préparé le petit déjeuner , réveillé madame Vaughan vers neuf heures , toujours comme d'habitude . Monsieur Gilles était descendu vers huit heures et demie , il a pesté contre le temps et a pris son petit déjeuner au salon en compulsant des revues de peinture . Madame Vaughan est descendue à neuf heures trente , a pris son petit déjeuner dans le jardin d'hiver , toute attristée , elle aussi par le temps . A dix heures , Monsieur Gilles est venu chercher sa soeur en lui disant que le carrosse était prêt .......

- Le carrosse ? S'étonne le gendarme .

- Le fourgon de location , monsieur, loué hier pour transporter les meubles et que Monsieur Gilles avait garé aux pieds des marches afin que Madame Vaughan ne soit pas mouillée , puisqu'elle a horreur de l'humidité ajoute-t-elle d'un ton confidentiel .....

- Ah , fait le gendarme avec un hochement de tête .

- .....J'ai donné son imperméable à Madame Vaughan et ils sont partis , il était environ dix heures dix .

- Bien , continuez , dit le gendarme .

- Ensuite , reprend Mellie, j'ai passé l'aspirateur, épousseté les bibelots de la salle , rangé la salle de bain de madame Vaughan , il était midi vingt lorsque je suis revenue à la cuisine , si j'en suis sûre , dit Mellie en se rengorgeant, c'est que l'émission :" La Grande corbeille " de Pierre Bellemare , touchait à sa fin . Pendant les informations ,de midi trente à treize heures, j'ai équeuté des haricots verts , ensuite , j'ai déjeuné , j'ai suivi à la radio  : " Les Histoires Extraordinaires " de Pierre Bellemare , vers quatorze heures, quatorze heures dix , comme je faisais la vaisselle , il y a eu un appel téléphonique auquel j'ai répondu , c'était mademoiselle Leslie qui appelait madame de Nice , nous avons conversé pendant une bonne demi-heure, puis j'ai terminé ma vaisselle .Patchouli et Vanessa, les deux chiens  ont demandé à sortir, ils sont revenus aussitôt et j'ai constaté qu'il pleuvait toujours , il était quinze heures . Ensuite, continue Mellie , j'ai lavé le sol de la cuisine , j'ai préparé du thé , j'ai pris mon tricot et suis allée tricoter au salon pendant environ une heure .A un moment donné , j'ai levé les yeux de mon ouvrage et j'ai aperçu un rayon de soleil . J'ai donc rangé mon tricot , ouvert les porte-fenêtres donnant sur la terrasse, je suis retournée en cuisine , j'ai fait de la pâtisserie , j'ai lavé du linge personnel que je suis allée étendre sur le fil derrière la maison , ensuite je me suis servie une tasse de thé que je suis allée boire sur la terrasse et c'est à ce moment que j'ai aperçu madame qui parlait et jouait avec Lola ........

- ...???

- La pouliche , dit Gilles .

C'est vrai qu'il ne connaît pas Lola , cet homme qui a ôté son képi et s'éponge le front . Le café , le soleil et l'émotion en sont probablement les causes !

- Donc , résume-t-il , à aucun moment , vous n'êtes sortie dans l'allée menant à la route ?

- A aucun moment confirme Mellie .

- Et vous n'avez rien entendu , non plus ?

- Absolument rien , les chiens non plus d'ailleurs et pourtant , je peux vous assurer que lorsqu'il y a un intrus , ils savent le répérer et donner de la voix , hein les petits ?

  Les petits , comme elle dit , sont occupés pour l'instant  à sentir les uniformes de la gendarmerie et il y a l'air d'avoir d'intéressantes odeurs .

- Bien , dit le chef , et vous madame ?

A mon tour donc , je dois être aussi claire et précise que Mellie , j'obtempère , puisque je n'ai pas d'autre choix !

Vaughan  , Héloïse , née Vermont , trente cinq ans , veuve , deux enfants , sans profession........

- Quelle était la profession de votre mari , madame ?

- Oui , bien sûr , général , monsieur , il est décédé dans un accident d'avion et il était de nationalité anglaise ........

- Je suis désolé , merci madame euh.......son prénom ?

- Alexander !

- Vos enfants , si j'ai bien compris , ne sont pas présents actuellement ?

- C'est exact , Thomas , mon fils est à Paris en stage de perfectionnement sur la façon de dresser les chevaux , quant à ma fille Leslie , elle séjourne actuellement à Nice , chez ma mère .......

- Bon , reprenons donc le récit de madame Baudoin .

Cela me fait drôle , de l'entendre parler de Mellie  ainsi  ! Ceci mis à part , je continue mon récit :

- Mon frère et moi-même sommes sortis en courant jusqu'au fourgon , j'ai pris le volant et me suis engagée dans l'allée centrale , roulant très doucement pour ne pas abîmer les branches basses des eucalyptus . Mon frère est descendu ouvrir le portail et le refermer après mon passage .......

- A clef ?

- Bien sûr , comme toujours , donc , je reprends , dis-je , Gilles a refermé le portail et a mis la clef dans sa sacoche , j'ai roulé normalement et ......

- Excusez-moi, me dit le gendarme , n'avez-vous rien remarqué en sortant sur la route , madame , quelque chose ou quelqu'un ?

- Je cherche , mais ma foi , rien ne m'a frappée , il faut vous dire qu'il pleuvait et que j'avoue n'avoir rien vu de spécial , à part les essuie-glaces qui grinçaient un peu . Je n'ai d'ailleurs eu aucun mal à sortir de l'allée, il n'y avait pas de voiture , ça je me rappelle bien !

- Et vous ?

Il s'adresse cette fois à Gilles .

- Non , dit-il , ni voiture , ni piéton , seulement la pluie .

La voix de Gilles est faussement calme , je le connais bien , je sens qu'il commence à en avoir assez de cette petite réunion .

- Et bien , continuez madame .

Il m'énerve à la fin , je ne sais plus où j'en suis .

- Euh , bon , comme je vous le disais , nous sommes arrivés à Morlaix , vers les onze heures , onze heures et quart , nous avons trouvé la maison où avait lieu la vente par adjudication volontaire , j'ai garé le J7 sur un parking et nous avons visité le rez-de-chaussée  de la maison . Nous étions venus pour la table pétrin , aussi nous l'avons observée sous tous ses angles , nous avons eu le temps aussi de regarder des cartons de lots de vaisselle et quelques bibelots , puis , comme il devait être midi , on nous a demandé de bien vouloir quitter les lieux , la vente ayant lieu à quatorze heures . Nous n'avons pas eu le temps de visiter le premier étage , nous avons repris le fourgon et sommes allés déjeuner dans une brasserie du centre ville .

Je passe sur le menu et l'addition, je suppose que ça ne l'intéresse pas !

- A treize heures quarante cinq , nous étions devant la maison où allait se dérouler la vente , il pleuvait toujours et c'était très éprouvant . si ça peut vous intéresser, Gilles sourit discrètement , j'ai réussi à acheter la table pétrin à un prix correct , elle est là dans le fourgon d'ailleurs avec quelques autres bricoles !

Ce qui était au premier étage , ne nous intéressant pas , dégoûtés par cette pluie incessante , nous avons réglé et embarqué nos achats dans le fourgon et sommes partis avant la fin de la vente . Nous avons rencontré le premier rayon de soleil sur la voie rapide au niveau de l'échangeur pour Landerneau et ma foi , la suite , vous la connaissez  !

- C'est exact , je vous remercie madame .

Je trouve qu'il prend plus de gants avec moi depuis qu'il sait que mon mari était général .

- Avez-vous autre chose à ajouter monsieur ?

Gilles , rejetant une bouffée de fumée , secoue négativement la tête , il doit avoir certainement envie de lui dire qu'il commence à l'emm......sérieusement , mais il se retient c'est déjà ça , inutile en plus de le braquer contre nous !

- Donc, dit le gendarme, vous vous appeler Gilles Vermont ?

- Oui , c'est exact je suis le frère d'Héloïse , j'ai trente ans , suis célibataire et  peintre de mon métier .

Voilà , tout est dit , ils vont enfin nous laisser. Tout à coup , j'ai un sursaut et le mort ? Qu'est-ce qu'ils en ont fait ?

- Et le .....le.....mort , le mot cadavre m'impressionne trop , oui le mort ?

- La criminelle de Brest s'en occupe , ils l'ont photographié et l'ont emporté pour l'autopsier.

Non merci pas de détails !

- Bien , et bien voilà ............

Je le jette littéralement dehors , lui , son adjoint , leurs uniformes et leurs questions .Gilles rigole dans sa tasse de thé , Mellie appuyée au dossier d'un fauteuil de jardin , semble dire :" Allez oust , exécution ! " Seulement , la gendarmerie , ce n'est pas si simple , maintenant qu'elle vous a écoutés sagement , crus ? , ça c'est une autre histoire ! Et bien , maintenant elle sort son petit sac à questions et elle mitraille par ordre des déclarations !

- Euh , fait le chef, j'ai encore quelques questions à vous poser si vous permettez ?

Que répondre ? Je souris donc avec résignation .

- Madame , c'est après Mellie qu'il en a , vous ne m'avez pas dit si vous étiez mariée ?

- Je suis mariée , monsieur , mon époux , Paul Baudoin , jardinier de son état , est actuellement en vacances à Nice chez madame Vermont , il est allé soigner ses rhumatismes au soleil en compagnie de miss Leslie .

- Merci ,  lui dit le chef , puis se tournant vers Gilles : vous êtes absolument certain , monsieur , que cet homme , vous est totalement inconnu ?

- Je vous l'ai déjà dit , monsieur , je suis certain , absolument certain que je ne connais pas cet homme !

- Je vous crois , mais vous savez , il pouvait être déjà venu vous rendre visite et avoir oublié quelque chose .........

- Absolument impossible intervient Mellie ! Lorsque quelqu'un sonne au portail , il donne son nom par l'interphone , si c'est un ami ou un fournisseur , je déclenche le système d'ouverture électrique , si c'est un inconnu , ou un démarcheur , je le renvoie , toujours au moyen de l'interphone , sans ouvrir le portail .

- Je vois , dit-il .

- Et oui , dis-je ,  ici , il faut montrer patte blanche !

- Ce qui justement n'explique pas comment , notre mort , a échoué dans votre allée !

  Evidemment , ceci n'explique pas cela ! J'en suis là de mes reflexions  lorsqu'un quidam en jean's  et blouson de cuir fait son apparition sur les marches de la terrasse , accueilli par un concert d'aboiements , Patchouli et Vanessa , nos deux bichons réprouvent à haute voix , son intrusion . Il a l'air de dire quelque chose , mais évidemment on n'entend rien dans ce concert . Gilles attrape Chouchou : Patchouli sur ses genoux  et Vanessa m'obéissant , me rejoint en grognant .

- Inspecteur Blin , annonce le nouveau venu .

  La trentaine , l'oeil bleu , une mèche châtaigne rebelle , il est ma foi souriant !

- Ah Durand ! Fait-il à l'adresse du  gendarme en chef , je vous cherchais . Nous prenons l'affaire en main , mais bien sur vous en êtes quand même . Vous avez pris les dépositions de ces dames et de monsieur ? Bien ! L'homme n'a pas de blessures  apparentes mais on se demande , s'il n'a pas été  mordu par le serpent .......

Le serpent ? Quel serpent ?  Quand soudain , je m'entends dire à haute voix :

- En parlant du serpent , vous faites allusion à l'orvet qui est dans l'allée ?

- Euh...je ne sais pas , fait l'inspecteur Blin surpris . Mais il y avait un serpent sous la poitrine de cet homme .

- Je peux vous rassurer à ce sujet , dis-je , c'est un orvet , un reptile totalement inoffensif , il est mort hier après-midi , un cultivateur est venu charruer un coin de pelouse envahi par les mauvaises herbes et après son départ , j'ai trouvé cette pauvre bête agonisante sur la terre . Hier au soir , soit un des chats , soit un des chiens avait transporté le corps mutilé de l'orvet dans l'allée centrale !

- Merci madame , en effet ce serpent n'a joué aucun rôle en ce qui nous concerne .

Pas la peine d'être inspecteur de police et ne pas faire la différence entre une vipère et un orvet . Voilà encore un , qui doit massacrer tout ce qui rampe sous prétexte d'ignorance ! Il s'en fout complètement d'ailleurs , il continue à discuter business avec le dénommé Durand . On pourrait peut-être s'esquiver discrètement , peut-être les gêne-t-on ?

Je fais signe discrètement à Mellie , il n'y a plus de thé , elle disparaît  et revient presque aussitôt  avec une théière emplie du précieux liquide qui réconforte ! Sept heures sonnent au clocher de l'église , ça m'apprend l'heure et en même temps que les vents sont montés à l'est , tant mieux , il va faire beau ! Soudain , la voix de l'inspecteur Blin s'adresse à nous et ce qu'il dit me laisse bouche bée .

- Nous avons pensé qu'il pouvait s'agir de l'ami intime de l'une d'entre vous .....

Et , bien sûr , il me regarde moi en disant ça ! Non mais quelle audace !

- Comment ! Comment osez-vous dire des horreurs pareilles ? ça c'est Mellie qui lui saute à la gorge .

- Je sais , dit-il mes propos vous choquent , mais vous savez , nous autres , dans notre métier , nous devons penser à tout !

- Ce n'est pas une raison pour dire des choses pareilles devant madame Vaughan ! Cela fait trente-six ans , monsieur , que je suis au service de cette famille et je peux vous assurer que c'est la première fois que j'entends proférer de telles horreurs , nous sommes au-dessus de tout soupçon , monsieur , vous avez affaire à une Lady , comme on dit Outre-Manche où l'on semble discerner là-bas un peu mieux à quelle classe sociale on s'adresse .

Ciel de lit , Mellie est hors d'elle , il va en bouffer de la classe sociale l'inspecteur Blin .

- Je suis désolé , madame , je comprends votre fureur .

Le mot n'est guère de trop , Mellie roule des yeux , j'ai l'impression qu'elle va le mordre ! Il faut que je trouve quelque chose à dire !J'interviens donc :

- Inspecteur comme Mellie , mon frère et moi-même n'apprécions guère ce genre de suppositions , nous l'avons dit , cet homme nous est inconnu , même si je ne l'ai pas encore vu , mais mon frère l'ayant affirmé , je le crois !Nous pensons avoir répondu à toutes les questions posées par monsieur , dis-je en regardant le gendarme Durand et de ce fait n'avoir plus rien à ajouter .

- .........De plus , je commence à être fatiguée ,  vous m'obligeriez beaucoup en nous laissant !

J'ai pris un ton de circonstance , peut-être  un peu mondain , du coup  les deux gendarmes se sont levés , Blin m'a fixée en disant :

- Bien madame , à demain matin  donc !

- Demain matin ?

- Pour les photos !

J'ai soupiré :

- Ah oui !!

- Je vous raccompagne dit Gilles !

Enfin , ils s'éloignent dans l'allée , j'ai envie de hurler  !

- Quel culot , non mais quel culot , ça alors , monologue Mellie  en débarrassant !

Je crie :

- Mellie , cesse de t'agiter et de marmonner entre tes dents , ça ne sert à rien , absolument à rien !

Je gesticule par-dessus la table dans sa direction.

- Viens t'asseoir et calme-toi !

En fait , je ne sais pas , laquelle de nous deux a le plus besoin de se calmer !

- J'en ai marre tu sais ...

- Vous savez.......

- Ah non par pitié , arrête de me dire , vous et de m'appeler madame , nous sommes seules , sacré nom d'une pipe !

- Je vais t'apporter un châle , Héloïse , tu vas prendre froid .

- Froid , moi , tu plaisantes , je boue !

- Justement !

Et la voilà partie en quête d'un châle , c'est inutile de discuter de toute façon !Charlotte , la jolie petite chatte tigrée , fait une apparition prudente , rassurée par ma seule présence , elle m'offre son ronron apaisant .

- Où étais-tu passée ma jolie , lui dis-je ?

Ronronron fait le petit moteur , son poil est doux comme de la soie , elle ondule sur la table devant mon nez , levant et reposant ses deux pattes avant en cadence .

- Tiens , dit Mellie , revoilà la belle .

Je prends le châle en mohair rose -mauve qu'elle me tend et le jette sur mes épaules .

- Tu viens , lui dis-je , on va sortir les caisses de vaisselles et les bibelots , ça va nous changer les idées et puis tu ne les as pas vus toi !

- Allons-y dit-elle , joignant le geste à la parole .

Je récupère les clefs au tableau de bord ,  ouvre le double battant de l'arrière ,  grimpe dans le fourgon et tends à Mellie un carton , qu'elle prend avec précaution .

- Cuisine , demande-telle ?

J'acquiesce en m'emparant d'un autre, c'est le service aux cerises de Gilles. Nous faisons deux fois l'aller-retour , toujours portant précautionneusement les cartons contenant la vaisselle . A notre troisième descente des marches de la terrasse , Gilles fait son apparition , il a l'air excédé !

- Ah, fait-il , enfin , on déballe !

Trois autres caisses sont aussitôt portées à la cuisine , puis c'est au tour du pétrin , avec Mellie , je porte le couvercle de la table et ensuite , joignant nos efforts , nous tirons , portons le pétrin , dieu qu'il est lourd ! On le met à l'abri dans la reserre sous la terrasse ! Les bichons reniflent tout ce qui arrive en cuisine , que d'odeurs inconnues !

   Puis , Mellie à la plonge , Gilles et moi , aux torchons , nous lavons , désinfectons et essuyons le service en entier. Tout le monde bavarde, découvre , s'extasie , en fait , il est complet et en très bon état . A part les deux tasses que j'avais repérées , il n'y a rien d'autre de fêlé ou d'ébréché et les deux légumiers sont ravissants !

- C'est dommage qu'il n'y avait pas de théière , constate Gilles .

- C'était plutôt une cafetière , précise Mellie .

- Sûrement dis-je , tant pis , il faudra chercher quelque chose d'approchant , ça nous donnera un but pour aller dans les vide-greniers , chez les antiquaires et les brocanteurs !

- Tous des voleurs ceux-là!

Encore une profession que Mellie n'apprécie pas beaucoup . Nous allons ensuite en file indienne , ranger les piles de vaisselle rutilante dans le bas du vaisselier .

- C'est curieux , dis-je , il n'y a pas de nom , ni de signes d'aucune marque à l'arrière des différentes pièces du service  .

- J'ai vu un numéro dit Gilles .

- Oui , moi aussi , mais c'est tout  !

- C'est très vieux  , assure Mellie.

Je souris , Mellie , de brocanteurs en antiquaires , en passant par St Ouen , Emmaüs ou Porto Bello , est devenue une experte en la matière . Surtout , que sur le terrain , elle a plutôt les yeux rivés sur mon sac à main et la mine dégoûtée de quelqu'un qui frôle des microbes gloutons dans chaque recoin , mais cependant , elle montrera sans hésiter les Creil , discutera volontiers du Vieux Rouen et avouera sa préférence pour les Moustiers .D'ailleurs , le pot à eau et la cuvette assortie aux fleurs roses qui l'ont aidée à faire ses toilettes de jeune fille campagnarde ,  trônent sur le toit de mon armoire malouine dans la salle . Chaque fin d'été , elle y change le bouquet de fleurs séchées avec amour . Incontestablement, c'est la plus belle pièce de la maison !

Je l'adore ma Mellie et elle me le rend bien .

- Demain ; dit-elle , Monique et Didier m'aideront à nettoyer le pétrin et ils ne partiront pas avant qu'on l'ait installé .Tu devrais téléphoner à Leslie , Héloïse !

J'avais complètement oublié ma fille . Je les laisse  en plein désordre et j'appelle Nice . C'est Leslie en personne qui répond , elle m'attendait , il pleut , elle s'ennuie . Elle veut savoir ce que j'ai acheté à la vente , je lui raconte nos achats , elle a hâte de voir , heureusement que Paul est là , Grand-mère , de siestes en parties de cartes en passant par les réceptions  , est quasiment invisible . Personne de son âge dans le voisinage et par dessus le marché , il pleut ! Je la rassure en lui disant qu'ici c'est guère mieux . Tout lui manque , nous , les animaux surtout Thomas . C'est gentil de dire ça , ça me fait plaisir .

Elle a reçu une carte de Thomas , il est satisfait de son stage , c'est dur mais très intéressant . Elle a envie de rentrer tout de suite , je la comprends mais je lui demande de penser à Paul et à ses rhumatismes , elle soupire , heureusement que c'est Paul . Il va bien , il regarde la télé , pas question de le déranger. On se quitte au bout de trois quarts d'heure , joyeuse addition en perspective .

Gilles m'accueille  , excité :

- Regarde , dit-il , le petit cadre ovale !

Je tends le cou .

- C'est fait avec des cheveux !

- Non ?

Je m'empare à mon tour du cadre et constate avec joie que c'est vrai ! Les fleurs et les initiales entrelacées ont bien été réalisées à partir de mèches de cheveux taillées et collées . C'est un travail très soigné , j'adore !

- On va le mettre au salon, prends le marteau ,dis-je .

Je me recule pour voir l'effet .

- Génial !

La cloche de l'entrée carillonne , ça me ramène sur terre ,  nous nous regardons Gilles et moi !

- Who's coming ?

- Salaün , le voisin , crie Mellie de la cuisine , il arrive il faut absolument qu'il vous parle !

- Zut , fait Gilles il est vingt et une heures , il a sûrement dîner lui et moi j'ai faim !

- Tu es étrange , toi , il faut toujours que tu aies faim à des moments impossibles !

- Tu appelles ça des moments impossibles , vingt et une heures , figure-toi que nous n'avons rien mangé depuis midi , et si toi le thé te rassasie et bien pas moi !

- Bon , bon , c'est tout ? Que veut-il , crois-tu ?

- Nous parler du cadavre , tiens !

- Non Gilles , pas ce mot s'il te plaît , je ne le trouve pas......sain .......pas sain du tout .........

- Pas sain , hahahah, Gilles s'étrangle de rire. ça fait du bien de rire un peu , ça décompresse , tu devrais m'imiter .

Il est fou , comme si vraiment j'avais envie de rire .

Monsieur Salaün , escorté de Mellie entre au salon . Je remarque aussitôt son air de circonstance , il a l'air d'un croque-mort ! Oh zut à la fin , on n'en sortira jamais ! Il s'asseoit et entre aussitôt dans le vif du sujet .

- Quelle histoire , hein ? Un inconnu , mort , dans votre allée!

Il se trémousse dans son fauteuil , tout émoustillé .

- A mon avis , dit-il , il a grimpé et sauté par dessus le mur, deux mètres , c'est pas la mer à boire !

Faut croire que non, mais me sens incapable de l'exploit !

- En tout cas continue-t-il , il n'est pas d'ici et je ne l'ai jamais vu faire ses courses au village non plus .

- Vous l'avez vu de près ?

- Oui les gendarmes m'ont demandé de venir le voir !

- Et vous l'auriez reconnu ?

- Pour ça oui , madame Vaughan, je vois une personne une fois en un endroit , dès que ,  quelque temps après je recroise cette même personne , aussitôt je me rappelle en quelles circonstances je l'ai déjà rencontrée !

   Ciel de lit , c'est flic et non marchand de chaussures qu'il aurait du être ce voisin !

- Quelle mémoire , je m'exclame !

- Ils ont pris l'orvet , ils étaient persuadés qu'il avait joué un rôle .

De mieux en mieux , la police s'égare , je crois .

- Vous ne l'avez pas vu madame Vaughan ?

- Qui ça ? L'orvet ?

- Mais non , il rit , le cadavre !

ça y est ça recommence !!

- Non , je n'ai pas voulu , demain on me montrera des photos .

- Ah !! Ils reviennent demain .....

Il espère être là , bien sûr !

- ......Quelle barbe leurs questions hein ? je n'y ai pas coupé moi non plus , dame , c'est moi qui l'ai découvert ce corps !

- Ah bon , fait Gilles .

- Mais oui , ça faisait bien dix minutes , que j'observais des gamins regardant à travers votre portail . Je pensais qu'ils excitaient vos chiens , soudain , n'y tenant plus , je suis allé voir ce qu'ils faisaient et c'est là que j'ai vu le corps de l'homme , étendu dans votre allée ! J'ai renvoyé les enfants , mais je n'ai pas sonné , sachant que vous étiez absents aujourd'hui , j'avais vu le J7 partir ce matin , je n'ai pas du tout pensé que madame Mellie était restée à la maison . J'ai téléphoné à la gendarmerie et suis resté attendre , devant votre portail , l'arrivée de la maréchaussée . Déjà quelques curieux se rassemblaient , prévenus par les enfants sans doute et les gendarmes n'étaient pas sur les lieux depuis dix minutes que vous êtes arrivés .

- Donc si je comprends bien , dit Gilles , vous avez découvert le corps vers seize heures .

- Si on décompte le manège des enfants, mon arrivée , mon appel téléphonique , l'arrivée des gendarmes , c'est bien ça , approximativement .

- Il ne pleuvait plus , dis-je ?

- La pluie s'est arrêtée en effet , mais il est mort sous la pluie notre cadavre ........

  Et vlan !

- .....ses vêtements étaient mouillés et davantage son dos . Il a sûrement du séjourner sous la pluie dans cette position !

- Cela s'est donc passé entre dix heures , heure de notre départ et seize heures , l'heure à laquelle vous l'avez découvert , affirme Gilles !

Mellie fait diversion en apportant un saladier sur la table de la salle .

- Je vous laisse dîner , s'écrie monsieur Salaün en se levant .

- Je vous raccompagne dit Gilles , je vais en profiter pour ramener le fourgon au parking .

- Quelle barbe , et demain ça recommence , dis-je à Mellie !

- Il est venu aux renseignements , me jette Gilles dès son retour .

- Ou plutôt , nous dire qu'il l'a découvert , dis-je .

- Les deux , concède-t-il .

Nous mangeons tranquillement , je leur raconte ma conversation avec Leslie . Ils m'approuvent de n'avoir rien mentionné au sujet du mort .

- ça aurait affolé Maman , dit Gilles .

- Excité Leslie , assure Mellie .

- Et surtout inquiété Paul dis-je , pas question d'en dire davantage à Thomas .

  A vingt-trois heures , chacun d'entre nous a regagné sa chambre . Craignant de ne pas dormir et de ressasser cette interminable journée mémorable dans ma tête , j'ai la joie de sombrer dans un profond sommeil , bercée par les ronronnements de plaisir de Benjamin , têtant Charlotte au fond de leur panier .

- Bonjour ma jolie !

  C'est Mellie qui me réveille comme chaque matin depuis trente cinq ans !

- Il fait très beau , Gilles est d'excellente humeur .

  Comme un avion de haut vol , Mellie bourdonne autour de moi , elle a son rythme de croisière , moi je ne suis encore qu'au décollage .Je fais le point : il fait beau, Gilles est de bonne humeur , les enfants.......en vacances .......ah , j'y suis le corps dans l'allée ! C'est quand même bien le sommeil , on oublie tout pendant sa durée .Mellie a compris que j'avais pris de l'altitude .

- Gilles est allé rendre le fourgon et récupérer la R5, il sera là d'une minute à l'autre , il ramène le pain frais , annonce Mellie .

- J'espère qu'il aura pensé aux journaux , dis-je , inspirée par l'idée désagréable qu'on doit faire la une des canards .

- C'est son intention de les acheter , crie Mellie de la salle de bain .

Je m'étire encore une fois sous ma couette et sors enfin du lit , c'est bien vrai qu'il fait beau .Je prends un bon bain , enfile un pantalon jaune et un T'shirt  assorti et me retrouve devant la glace , brosse à cheveux en main .

Naturellement , je frise ! A qui la faute ? A toute cette humidité d'hier , bien sûr  ! Je brosse vigoureusement mon épaisse chevelure blonde sans trop de succès , des boucles rebelles se reforment sur mes épaules . Tant pis ! Deux traits de crayon vert sur mes paupières, pas plus , c'est l'été et de toute façon , j'ai horreur des fards !

Je descends , des voix jeunes plaisantent à la cuisine , j'entre . Monique , la jeune fille qui vient aider Mellie certains matins et Didier , le garçon qui rend service à Paul au jardin asseptisent ma table pétrin en riant et plaisantant . Ils me saluent , Monique rit parce que Didier lui assure que ma table pétrin est un cercueil , c'est d'un goût fou !Je les laisse s'amuser et me rends sur la terrasse . Gilles et Mellie lisent chacun les faits divers .

- Salut , dis-je , quel genre de prose ?

- Discrète répond Gilles .

Il me passe le Télégramme , un titre en première page : Le cadavre d'un inconnu découvert dans une propriété de la région brestoise ! ( Lire en page cinq . ) A la page en question je lis : Vers dix-sept heures , les gendarmes de Saint Renan , alertés par un voisin immédiat , ont fait une macabre découverte dans l'allée d'une propriété  . Il s'agirait d'un homme âgé d'environ trente-cinq ans , sans papiers d'identité . On ne connaît pas encore l'origine du décès , l'autopsie pratiquée nous l'apprendra sans aucun doute . Interrogée , la propriétaire des lieux , absente lors de la découverte , est formelle , elle n'a jamais vu cet homme . Il semblerait d'ailleurs qu'il se serait introduit par effraction , c'est à dire en escaladant le mur d'enceinte . Une enquête est en cours .

Rassurant ! L'Ouest France à quelques mots près dit la même chose .

- Ils mentent , dis-je , en mangeant mes country-stores , je n'ai rien vu !

- ça ne va sans doute pas tarder , dit Mellie , dépêche-toi d'avaler ton petit déjeuner !

Gilles mange de bon appétit , comme toujours , moi , je grignote , comme d'habitude .

- En forme , me demande-t-il ?

- Hum , hum , j'ai la bouche pleine  , j'ai bien dormi , dis-je et toi ?

- Très bien !

Dreling , dreling , la cloche de l'entrée carillonne .

- Heureusement , j'ai terminé , quelle heure est-il Gilles ?

- Dix heures dans quelques minutes !

- Très correct !

- Tout à fait l'heure pour déguster du cadavre ....

- Oh ! Tais-toi , tu es ignoble .

Je me lève , dégoûtée , je vois Blin arriver , il est tout seul !

- Bonjour , nous crie-t-il , en grimpant les marches deux par deux . Belle journée !

Très belle oui , s'il n'y avait pas de cadavre en fond de décor . Il s'asseoit , fait comme chez lui , repousse les plateaux du petit déjeuner et commence à installer ses photos du genre plutôt grand format . Je n'ose regarder !

- Vous êtes émotive à ce point là , pourtant...........

Ah non ! , j'espère qu'il ne va pas me sortir des insanités macabres du genre : " pourtant lors de l'accident de votre mari il y a cinq ans ...............ou autre chose du même genre ..." Il m'observe , je dois être pâle .

- Pourtant , continue-t-il , vous allez voir , elles sont très bien faites , on dirait qu'il est vivant !

Je m'asseois donc et ose un regard . La première chose qui me frappe dans le visage de cet homme , c'est justement son regard : des yeux bleus , mais si pâles qu'ils paraissent presque blancs , très grands ouverts avec une petite pupille . Ses cheveux blonds sont très courts , le reste du visage , ma foi , est banal . Je n'arrive pas à détacher mes yeux de ce regard pâlot qui semble irréel !

- Alors ? Fait l'inspecteur Blin .

- Gilles avait raison , je n'ai jamais vu cet homme . De toute façon , avec son étrange regard , si je l'avais aperçu , auparavant , je m'en serais certainement souvenue . Vraiment , je n'ai jamais croisé un regard semblable !

- C'est un albinos , lance Mellie , qui regardait par-dessus mon épaule !

- Albinos peut-être , quoique son système pileux est plus foncé en d'autres endroits , mais drogué , nous annonce platement l'inspecteur Blin ! Et oui , continue-t-il , mais il est mort d'une crise cardiaque .

- Ah , j'aurais plutôt pensé à une overdose , dis-je .

- Arrêt du coeur , du à une crise cardiaque répète Blin . La drogue a certainement joué un effet destructeur , quand même , assure-t-il .Donc , personne , ici ne le connaît , dit-il , nous lançant un regard circulaire ?

Devant nos moues négatives , il ramasse les photos dans son enveloppe . Cela a été moins dur et moins éprouvant que je ne le pensais . Cependant , j'ai bien peur de revoir éternellement , le regard étrange de cet homme !

- Voici , vos dépositions , lance Blin , en extirpant des liasses de papiers tapés à la machine , de la chemise cartonnée .

- Il faut signer ? Demande Gilles .

- Exactement , mais vous pouvez relire , ajoute-t-il .

Mellie s'asseoit près de moi , ajuste ses lunettes et prend les feuilles que lui tend l'inspecteur .

Je me lève pour aller chercher un stylo , il devance mon geste en disant :

- Ne bougez pas madame , j'ai ce qu'il faut ! Et il me tend un crayon à bille noir .

Je me rasseois donc et commence ma lecture , tout y est consigné , le style est vraiment sans fioriture , mais je ne décèle aucune faute d'orthographe . J'ai lu deux feuillets , le reste c'est la même chose en plusieurs exemplaires  .

- Vous signez là , me dit-il , en pointant un index sur le bas du second feuillet , et ce , également sur les autres feuillets , au même endroit .

Je m'exécute donc par cinq fois puis je passe le crayon à Mellie qui s'applique beaucoup . Ensuite , c'est au tour de Gilles , très sûr de lui dans ses signatures ! Avec l'adresse d'un prestidigitateur , Blin rassemble le tout et le fait disparaître dans la chemise .

Il fait chaud sur la terrasse, l'inspecteur se lève , nous regarde , va prendre congé lorsque Didier et Monique , timidement font leur apparition , ils viennent chercher les ordres de Mellie . Aussitôt , l'inspecteur me regarde et pose la question de rigueur :

- Qui sont ces jeunes gens ?

- Monique Bramoullé , elle vient aider Mellie certains matins et Didier Férec qui jardine avec Paul pendant les vacances .

- Ils étaient ici hier ? Demande l'inspecteur à Mellie .

- Non monsieur , tous les mardis matins , Monique garde les enfants de sa soeur et vu le temps , Didier n'aurait rien pu faire au jardin !

- Bien sûr , opine l'inspecteur . Mais à tout hasard , je vais leur montrer les photos , dit-il  , approchez , voulez-vous !

  Intimidés , mais curieux cependant , ils s'approchent , Blin leur étale trois photos sous leurs yeux .

- ça vous dit quelque chose ce visage ? Demande t-il .

Didier et Monique se penchent ensemble , lui les mains dans les poches de son jean's , elle retenant ses cheveux mi-longs de chaque côté de son visage . C'est Didier qui parle le premier :

- J'connais pas ce mec , l'lai jamais vu !

- Moi non plus ! Dit Monique .

Ni déçu , ni satisfait , l'inspecteur rajuste le tout dans la chemise .

- Bien , dit-il , je me demande d'ailleurs d'où sort ce type , personne , même dans le village , ne l'avait vu auparavant . J'ai montré mes photos à gauche , à droite , dans les bistrots et j'obtiens toujours la même réponse : inconnu ! Que faisait-il chez vous ? Nous l'ignorons encore ! Que cherchait-il surtout ?

- Peut-être de l'aide ? Dis-je .

- Dans ce cas , répond catégoriquement l'inspecteur  Blin , il aurait mieux fait d'aller chez votre voisin d'en face , il n'y avait pas de mur à escalader !

- Ce qui est tout à fait exact , dit Gilles .

- A mon avis , dit Blin , il a eu peur du serpent et son coeur a lâché . Mais qu' avait-il l'intention de faire chez vous ? Là est le mystère !

Il y tient à son histoire de serpent ! Je me demande ce qu'il aurait inventé si à la place de l'orvet , il y avait eu , je ne sais pas moi , une crotte de chien , par exemple . Je donnerai cher pour écouter ses déductions à ce propos !

Pour l'instant , il nous dit qu'il nous tiendra au courant  si un fait majeur se produit et espère un appel de notre part au cas où un souvenir nous reviendrait en mémoire .Nous échangeons donc nos numéros de téléphone , j'insiste sur le fait qu'il ne doit pas divulguer le mien , étant sur liste rouge ! Il me rappelle la discrétion de la police à ce sujet et prend congé .

Monique débarrasse la table , je vais aider Gilles , Mellie et Didier à transporter le pétrin dans la salle . L'endroit choisi le met en valeur ! A l'intérieur du pétrin , nous empilons et rangeons des objets pour lors en relégation , mais qui , tel est mon tempéramment , ressortiront dans quelque temps , redevenus centre d'un nouvel intérêt . Le couvercle remis à sa place initiale , j'y dépose ma collection de carafes en verre ou en cristal .

Pendant que Gilles fait ses comptes et téléphone , je vais avec Didier faire le tour du jardin . Armé chacun d'un sécateur , nous coupons les roses fanées et les boutons endommagés par la pluie . Les fleurs disgracieuses des oeillets de poète et des oeillets plume subissent le même sort , puis pendant que Didier sarcle les parterres , j'effeuille dans une corbeille les pétales des roses les plus odorantes . Je vais les faire sécher au soleil pour en faire des pots pourris . Comme j'aime à le répéter , je mets l'été en bouteille ! Ensuite , je vais voir les chevaux dans le grand champ derrière la maison . Nous avons eu de la chance de pouvoir le louer cette année . Paul a fait une porte dans le mur d'enceinte pour pouvoir y accéder . De cette façon , on peut mettre les chevaux à pâturer sans sortir de la propriété , sans avoir à faire le grand tour par la route . C'est nettement plus commode ! La clef est toujours suspendue dans la cave , je l'ai prise au clou . Nos trois chevaux broutent paisiblement , quelqu'un a du passer avant moi et a rempli à ras bord les seaux , d'eau . Il manque Manolo, l'andalou , à Paris avec son cavalier .

Je suis sûre que Manolo , regrette sa verte pâture , le pauvre ! " Tu fais de l'anthropomorphisme! " me dirait mon frère ! Bien sur que non , cheval parlant , il est quand même plus agréable de paître de la bonne herbe en liberté dans un champ que de travailler dans la poussière d'un manège par une chaleur pareille . Pourtant , je suis la seule à émettre ce genre d'idée !

- Hein que vous êtes heureux mes chéris ?

Ils s'approchent , fouettant leurs flancs de leurs longues queues . Je constate qu'ils ont encore des mouches ! Saleté de bestioles ! La rémanence du liquide répulsif dont on les enduit chaque jour , n'est vraiment pas au point ! Je fouille dans mes poches et leur donne un petit morceau de carotte à chacun d'entre eux . Ravis , ils s'en retournent brouter sauf Pepper qui boit un petit coup en passant .

Je les laisse et je rentre , refermant soigneusement la porte derrière moi . Sur un coup de tête , je décide d'aller jusqu'au portail de l'entrée . Autant le faire tout de suite, puisque ça me chiffonne . Je m'arme de courage et arrive à l'endroit fatidique , pas une seule trace , aucun indice monstrueux ! Rassurée , je m'en retourne vers la terrasse , très satisfaite de moi . Ce que l'être humain peut être vaniteux , moi en particulier !

Comme je monte les marches  , Mellie me crie : " à table ! " Je vais me laver les mains à la cuisine et ressors avec le transistor pour les informations de midi trente . Didier et Monique se joignent à nous , le repas est délicieux et très frais, on a ouvert le parasol pour ne pas attraper d'insolation , il fait si chaud ! Gilles annonce qu'il monte à Paris demain soir , il reviendra sans doute dimanche dans la soirée ou , sûrement lundi . Il passera le week end avec Thomas , sa journée de vendredi étant occupée par des achats et quelques problèmes à régler sur place .

Les parents de Monique ont acheté une voiture neuve , elle espère avoir la permission de la conduire . Didier , pour varier du jardinage, embarque quelquefois sur des bateaux de pêche , parfois , c'est dur , dit-il , mais il aime bien . Ils se sont inscrits tous les deux pour la course à pied de dimanche en quinze  , elle en féminine , lui en amateur !

Le repas s'achève sur nos gentils bavardages , Mellie entraîne ses deux aides à la cuisine , elle ne veut surtout pas rater les histoires extraordinaires de Pierre Bellemare . Gilles et moi , silencieusement , sirotons  notre thé .

- Je vais peindre dit Gilles et il se sauve vers la serre qui lui tient lieu d'atelier .

Abandonnée de tous , je monte mettre mon maillot de bain , prends quelques revues de jardinage au salon et me dirige vers le patio . C'est un endroit charmant que j'adore: un bassin , où paressent poissons rouges et nénuphars , en est le centre d'intérêt . Ce lieu enchanteur est clos de treillage où s'emmèlent des rosiers , des clématites , des chèvrefeuilles , des passiflores , des capucines vivaces et des volubilis . Des plantes frileuses de collection garnissent les parterres . C'est l'endroit le plus chaud et le plus protégé  de tout le jardin . Un espace gazonné sépare les parterres du bassin , c'est là que je m'installe sur une chaise longue . Je suis à vingt mètres de la terrasse , en bordure de l'allée centrale , mais , aucun regard indiscret ne peut me voir . Quant à l'accès , il faut le connaître , la végétation exubérante le dissimule de plus en plus . Une merlette téméraire se pose sur l'îlot du centre du bassin , elle m'a vue , mais vient boire cependant ! Sa soif apaisée , elle s'envole par dessus la clôture .

J'aime beaucoup les oiseaux , il faut d'ailleurs que je termine mes articles pour la revue britannique : " Birds of the world " . Je les bague , les mesure et surtout les soigne .

Cet hiver , l'atelier de Gilles a accueilli une trentaine de pensionnaires , frigorifiés et affamés que nous avons remis d'applomb . Beaucoup de grives , elles sont les malheureuses victimes des vagues de froid soudaines : des musiciennes , des mauvis et même deux litornes . Sans parler des pauvres vanneaux si gracieux . J'espère que Mellie a garni mes mangeoires , ce matin ! Je les ai disposées aux abords de la maison , pour pouvoir mieux observer la gente ailée et repérer les nouveaux venus .

- Madame Vaughan , madame Vaughan !

ça , c'est Mellie qui m'appelle , j'enfile mon peignoir chinois et accours vers la terrasse .

- Le téléphone , me glisse-t-elle à voix basse , c'est le propriétaire du champ de derrière , il veut te parler !

J'allume une cigarette et prends la communication au salon .

- Allo ?

- Madame Vaughan ?

- Elle-même! Bonjour monsieur Courtay , comment allez-vous ?

- Très bien , merci madame , c'est au sujet du champ , je voulais vous dire qu'on est d'accord pour vous le vendre ......enfin , si vous voulez toujours acheter bien sur !

Je n'en crois pas mes oreilles , une bouffée de joie envahit mon corps , il ne faut certes pas le montrer !

- Allo? Allo ?

- Oui , oui ,  monsieur Courtay , j'ai entendu votre proposition . A quel prix me le cédez-vous ?

- Et bien , il fait un peu plus d'un hectare , la terre n'est pas très bonne mais cependant , il fait partie des terres labourables : trois millions , ça vous va ?

Si ça me va ? C'est une véritable aubaine !

- Il n'est pas constructible n'est-ce pas ?

- Silence , puis : Ah non ! C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on hésitait à le vendre . Mais vous , de toute façon , c'est pour vos bêtes que vous l'achetez .

- C'est exact , je n'ai pas du tout l'intention d'y faire construire un building , rassurez-vous .

Il rit bruyamment !

- Alors votre réponse ?

- Et bien dis-je , c'est oui !

- Vendredi matin , à dix heures  chez le notaire de Saint Renan , vous pourriez venir ? Me demande-t-il .

- Euh........oui , oui ça me convient parfaitement !

- Donc à après demain matin , madame Vaughan et surtout bon repos avec toutes ces histoires que vous avez eues hier , ça a du vous flanquer un sérieux coup ? Je vous comprends .

Je réponds que j'essaie d'oublier , mais que c'est ma foi vrai , ça nous a drôlement perturbés . Puis on se quitte .

- Mellie , Mellie , dis-je toute excitée , ça y est ,  il vend !

Mellie est toujours contente quand elle me voit ravie .

- Combien ?

- trois millions .....c'est à dire ........attends .......trente mille francs !

- Tu aurais pu faire baisser un peu !

- Ecoute , c'est une aubaine ! Je crois que j'étais prête à y mettre le double , tellement j'en avais envie de ce champ et Gilles aussi !

J'ajoute très vite , au fait , il ne faut rien lui dire , je vais signer les papiers , vendredi matin chez le notaire , on lui fera la surprise à son retour de Paris . Mellie se fait complice du secret !

- Donne- moi un coca , il faut fêter ça !!

Du coup , terminé le bronzing , je téléphone à ma banque , de bureau en bureau , je joins le responsable, qui après m'avoir écoutée sagement , me rassure en me disant qu'il s'occupe de tout . Voilà qui est parfait ! Il m'a toujours prise pour une irresponsable cet homme , sous prétexte que je n'y connais rien dans leurs subtilités financiaires . Il faut dire que mon cas n'est pas simple , je dépends en fait d'une banque anglaise et mon argent passe son temps à passer de Livres en Francs, quand ce n'est pas le contraire ! Gentil ballet boursier !

Bien , bien , bien , je suis de charmante humeur .Je vais siroter mon coca sous le parasol , sur la terrasse .

Benjamin fait une timide incursion au soleil , enhardi par les appels de Charlotte . C'est un beau bébé chat d'un mois et demi , tout tigré et très drôle dans ses mouvements mal équilibrés .

L'après midi s'est achevé tranquillement , j'étais débordante de bonheur , heureusement que Gilles a l'habitude de mes sautes d'humeur , il n'a rien décelé de particulier !

La soirée , très calme , elle aussi , s'est terminée vers vingt-deux-heures trente . Mellie tricotait , Gilles lisait et moi , je classais des documents pour mes articles .

   La journée du jeudi a été encore plus chaude , je n'ai rien fait à part errer de la terrasse au patio .Gilles faisait la même chose , mais de l'atelier à la terrasse . Mellie a fait une charlotte aux pêches , délicieuse . J'ai téléphoné à Nice , le moral était parfait , ils étaient aller visiter Monaco .

A vingt heures trente je suis allée conduire Gilles à la gare de Brest , l'ai planté dans le hall , j'ai horreur des adieux sur un quai de gare ! Je suis revenue par la côte , pour regarder la mer et les phares s'allumer !

Mellie m'attendait en tricotant , nous avons bu une citronnade et sommes allées nous coucher .

FIN du premier chapitre

DEUXIEME CHAPITRE

  Bien réveillée , j'attends l'arrivée de Mellie dans ma chambre , elle ne devrait plus tarder . Bien sûr , je pourrais me lever , mais je suis si bien dans mon lit que je m'étire paresseusement  .

- Réveillée , dit Mellie en entrant , j'en étais sûre ! Belle journée ma chère .

le soleil inonde ma chambre !

- Monique a téléphoné , crie Mellie de la salle de bain , elle ne peut pas venir ce matin , sa soeur doit s'absenter , de ce fait elle doit garder les enfants . Tant pis pour le grand ménage , je vais faire une grande lessive !

- Très bien , donc je peux rentrer déjeuner à midi ?

- Bien sûr , ma caille, dit-elle , en me laissant à mes ablutions .

Je choisis un pantalon blanc , chemisier assorti et ma dernière veste légère en tissu bariolé . Mes cheveux lavés d'hier sont comme je les aime , souples mais pas frisés ! Je descends souriante , Mellie a tout préparé sur la terrasse. Il est huit heures trente et il fait bon !

- Je te laisse me dit-elle, je descends à la cave , n'oublie rien surtout ! A tout à l'heure .

- Hum , hum .....dis-je , à midi !

La cave c'est leur domaine à elle et à Paul . D'un côté les outils et tout ce qui a trait au jardinage , de l'autre côté , la buanderie , une cloison séparant la cave en deux parties . Mellie y a aussi ses placards de conserves et moi mes bouquets séchés suspendus sur le fil d'appoint qui sert l'hiver . Aujourd'hui , c'est donc le jour de grande lessive ! Mellie doit être ravie , elle va profiter de mon absence pour laver tout ce qu'elle a envie , personne ne sera là pour vérifier !  Je suis sûre qu'elle mettrait la table-pétrin dans la machine , si elle le pouvait . C'est une maniaque de la propreté , la grande persécutrice des microbes . Je m'en fiche , elle peut laver ce qu'elle veut , aujourd'hui , je n'irai pas l'embêter !

Je monte me brosser les dents et mettre un peu de rouge à lèvres . Je redescends , prends mon sac à main au salon , attrape au passage  mon paquet de cigarettes et mon briquet , décroche mes clefs de voiture dans l'entrée et sors sur la terrasse . Il est neuf heures et quart , je suis à l'heure !

  Patchouli et Vanessa me font un petit brin de conduite puis font demi-tour , ils ont compris qu'ils ne m'accompagnaient pas . Soudain , je fouille dans mon sac , j'ai peur d'avoir oublié mes lunettes de soleil et ma carte d'identité . Mais non , elles sont là et je vais pour bifurquer à gauche vers l'allée des communs , tout en refermant mon sac à main , lorsque mes yeux se reportent sur le portail de l'entrée , distant d'une trentaine de mètres  de l'endroit où je suis actuellement , inconsciemment , j'avais du remarquer quelque chose !

  Je n'en crois pas mes yeux , je reste pétrifiée sur place , ma main gauche sur la fermeture de mon sac . Là-bas , collé contre le portail en bois , un cadavre , nul doute n'est permis , est recroquevillé comme un pantin . Les gravillons et certaines lattes du portail sont rouges de sang .

  Mes yeux ne peuvent se détacher de la scène , vêtu d'un jean's et d'une chemise bariolée , le nouveau cadavre a les cheveux , dressés en houpette , colorés d'un bleu agressif , je ne peux pas voir son visage , il est collé contre la barrière .

Je réalise que je ne peux pas sortir . Un drôle de son sort de ma gorge , je fais demi tour et marche aussi vite que possible vers la maison , mon coeur bat rapidement . Je n'éprouve pas de la peur , c'est plutôt un sentiment d'horreur qui m'envahit !

Mon premier réflexe a été d'appeler Mellie , mais repoussant mon envie , je me jette littéralement sur le téléphone . Je viens de comprendre que mon rendez-vous chez le notaire est plutôt compromis !  Pas d'autre issue pour sortir la voiture et si je passe par le champ des chevaux ,  je ne vais tout de même pas faire de l'auto-stop pour aller à Saint Renan . Gilles n'étant pas là , il faut que je prenne sur moi ! Je compose frémissante le numéro 17 sur le cadran et jattends .

La voix du gendarme me fait sursauter :

- Allo , gendarmerie de St Renan , j'écoute .....

- Pouvez-vous me passer Monsieur Durand s'il vous plaît ?

- ......De la part de qui  je vous prie ?

Le ton ne me plaît pas , j'ai l'impression de commettre un impair .

- Je hurle : de la part de madame Vaughan , qui en a plus qu'assez de trouver des cadavres dans son allée !

J'ai du impressionner mon interlocuteur , je n'entends plus rien . J'allais crier : allo ? Quand soudain :

- Durand à l'appareil , qui a -t-il pour votre service madame Vaughan ?

- Il y a monsieur Durand , je pleure à présent ,........il .........y ......a .....un autre cadavre dans mon allée !

- Vous êtes sûre ?

- Ecoutez , je ne suis pas encore folle ! J'avais rendez-vous chez le notaire à dix heures et en allant chercher ma voiture , je n'ai vu que ça ! Il est accroché à mon portail , il y a du sang partout ........et je peux même vous dire qu'il est coiffé avec ......, enfin , ses cheveux forment une houpette bleue !

- Il est mort ? Me demande-t-il .

- Je ne sais pas dis-je , en reniflant , je ne me suis pas approchée !

- Bon , calmez-vous madame Vaughan , on arrive ........

- Monsieur Durand , dis-je , vous ne pouvez pas passer par le portail , sans le bousculer .........et je n'irai pas vous ouvrir ......passez par derrière , vous voyez , par le champ où sont mes chevaux  .

- Oui , oui , je vois confesse-t-il .

- Et bien , il y a une porte dans le mur , je vais aller l'ouvrir .

- A tout de suite madame Vaughan , dit-il en raccrochant .

- En panne ? Interroge Mellie en passant la tête dans le salon .Pourquoi pleures-tu ? Fait-elle , toute alarmée , qu'y a t-il ?

- Oh , Mellie.........Mellie ............il y a un autre ..........cadavre dans ........dans l'allée !

- Qu'est-ce que tu dis ?

- Si tu ne me crois pas non plus , tu n'as qu'à aller voir .

- Mais Jesus , Marie , Joseph , dit-elle , en levant les bras au ciel , qu'est-ce que c'est que cette épidémie ? Ne pleure pas , ajoute-t-elle , je vais lui téléphoner à ton notaire , de toute façon , c'est un cas de force majeure !

  J'ai enfin trouvé un mouchoir , je me mouche bruyamment et tamponne mes yeux , j'entends Mellie qui dit :

- Je suis bien à l'étude notariale ........oui ...Ah bonjour Maître, je vous préviens que madame Vaughan ne pourra se rendre au rendez-vous que monsieur Courtay lui avait fixé en votre étude , on vient de découvrir un nouveau cadavre dans l'allée , toute sortie nous est impossible , nous attendons les gendarmes d'une minute à l'autre ................Je vous remercie Maître , je vais transmettre à madame Vaughan votre proposition . Au revoir Maître !

- Voilà dit Mellie en raccrochant , il est indigné comme moi , ton rendez-vous est reporté à mardi matin même heure ! Où vas-tu ?

- Ouvrir la porte du champ , c'est par là que vont arriver les gendarmes .

- Reste tranquille , j'y vais , sers-toi plutôt une tasse de thé il y en a dans la théière , bien au chaud sous le cosy .

Je me traîne donc dans la cuisine et me sers une grande tasse de thé comme me l'a suggéré Mellie .Elle revient à ce moment -là , se verse une tasse de l'excellent brevage et m'entraîne sur la terrasse .

Je m'installe à ma place préférée , elle débarrasse les plateaux du petit déjeuner puis vient me rejoindre .

Nous sommes silencieuses , les chiens inquiets nous regardent et nous reniflent  , ils sentent qu'il y a quelque chose d'anormal . Je me sens complètement vidée , je sais qu'il faut que je réagisse mais je n'arrive pas à trouver de quelle manière . J'ai trop souffert de cette sorte d'abattement , il y a cinq ans , pour ne plus vouloir y replonger ! Je me lève et vais chercher mon paquet de cigarettes dans mon sac . Mellie ne dit toujours rien , elle a sa bouche des jours de colère mais ses yeux sont inquiets , évidemment , elle se fait du souci pour moi ! " Plus jamais d'émotions fortes ! " lui a dit , à mon sujet , le médecin à cette époque . Facile à dire ! Un cadavre , à la rigueur , je m'en étais bien sortie , mais un second en si peu de temps d'intervalle , ça commence à détraquer mon système nerveux convalescent .

J'ai beau tourner et retourner des idées dans ma tête surchauffée , je ne sais toujours pas comment réagir et sortir de cette apathie qui me laisse prostrée .

Patchouli , en aboyant , me fait sursauter , je tourne la tête dans sa direction et je vois trois gendarmes , Durand en tête , qui marchent en file indienne  dans l'allée du potager .

- Les voilà , dit Mellie , se levant pour les guider jusqu'à moi .

Ils en mettent du temps à contourner la terrasse ! J'accuse Mellie d'être en train de leur dire que j'ai eu ma dose d'émotions et qu'il ne faut à aucun prix me persécuter davantage . C'est pourquoi , ils tardent tant à apparaître . Les voilà enfin , ou plutôt , voilà monsieur Durand et Mellie , les deux autres prennent l'allée centrale , pour aller constater de visu , si je n'ai pas eu d'hallucinations !

- Rebonjour madame Vaughan , me dit cordialement Durand , ça a l'air d'aller mieux , je vois , ajoute-t-il d'un air bourru qui se veut paternel !

Mais oui , chef , la petite chose fragile que je suis ne s'est pas encore brisée !

- Mieux , c'est beaucoup dire , dis-je , je suis encore très éprouvée , j'ai du mal à réagir ........

- Bien , dit-il , coupant ainsi mes états d'âme , je vais rejoindre mes adjoints . L'inspecteur Blin ne devrait pas tarder , je lui ai téléphoné aussitôt .

    Il descend les marches et s'engage à son tour dans l'allée centrale . Soudain , remplie d'inquiétude , je fais part de mes craintes à Mellie .

- J'espère qu'ils n'ont pas débranché la clôture électrique , dis-je , sinon les chevaux vont s'échapper !

  Je me lève et file vers le champ de derrière , la porte dans le mur est fermée , ils sont très bien ces gendarmes ! Les chevaux , imperturbables , broutent calmement , apparemment la maréchaussée et les cadavres n'ont pas l'air de les perturber ! Et je m'apercois que cela fait plusieurs fois que j'utilise le mot "cadavre " sans éprouver aucun sentiment , étrange ! Je branche le tuyau d'arrosage et remplis les trois seaux à ras bord . Ténébreuse vient quémander une carotte , mais je n'ai rien à lui offrir . Je me baisse pour passer sous le fil de la clôture et m'avance dans le champ . Téné me suit , Pepper et Milady lèvent la tête , me regardant approcher , puis se remettent à brouter .

  Je me dirige vers Pepper , il lève la tête , je suis tout près de lui , je passe mes deux bras autour de son encolure et je lui sussurre des petits mots d'amour dans son oreille toute poilue , attentif , il bouge son oreille et me chatouille le nez !

- Oh , mon chéri , lui dis-je , donne-moi un peu de ta force !

Il roule son gros oeil marron tout près des miens . Changeant de position ,  je me place face à lui et l'embrasse sur les naseaux , ses vibrisses me rechatouillent le nez , je fais une grimace et souris .

   Si je m'écoutais , je grimperais sur son dos et en balade ! Hélas il fait trop chaud et ma tenue n'est pas spécialement conçue pour monter à cheval , surtout mes talons qui s'enfoncent d'ailleurs copieusement dans la terre ! Le fait d'imaginer mon allure sur Pepper et j'éclate de rire .

- Tu serais ridiculisé ! Lui dis-je .

- Il me lèche les mains en bon pépère tranquille .Téné , agacée par un taon , essaye de s'en débarrasser en se roulant , elle se relève puis s'ébroue .

  Soudain , les oreilles, puis les têtes de mes chevaux , se pointent vers l'entrée du champ , côté route . Regardant dans la même direction qu'eux , je vois l'inspecteur Blin qui apparaît , suivi d'un autre homme . Cachée par Pepper, j'observe leur manège prudent près de la clôture . L'adjoint , sportif , fait un magnifique saut par-dessus le fil , Blin hésite beaucoup puis finit par se mettre à quatre pattes , il avance lentement , le dos creusé , la tête baissée , encouragé par la voix de son adjoint qui le guide et lui dit quand se relever . Je regrette d'avoir raté le passage des gendarmes , qu'ont-ils fait de leurs képis ? La scène est si cocasse que je ris , je ris , toujours cachée par Pepper . Pour l'instant mon inspecteur se dessalit les deux genoux à l'aide de ses deux mains , l'adjoint ayant récupéré la serviette . Etonnés , ils essayent de découvrir d'où vient ce rire qui persiste . Enervés , les chevaux changent de place me mettant à découvert . Rassuré , l'inspecteur met le cap sur moi , suivi par son adjoint , portant toujours la serviette .

- Merci , inspecteur , lui dis-je , en lui serrant la main , vous m'avez décoincé le moral !

Il ne sait pas très bien ce qu'il doit dire ou faire , mi-sérieux , mi-gêné .

- J'ajoute : quelle technique !

Et je repars à rire de plus belle , cette fois-ci , c'est le vrai fou rire , mes yeux se mouillent de larmes .

Ils me regardent , puis se mettent à rire eux aussi , échangeant des plaisanteries sur leurs méthodes différentes .

  Mellie , intriguée par ces bruits , pointe son nez à la porte , nous avançons vers elle , glissant sans parler sous le nouveau fil de clôture , moins éprouvant à passer , il n'a qu'une rangée de fil de fer !

- Bonjour madame Baudoin , dit Blin .

- Bonjour inspecteur, répond Mellie .

- Au fait , dit Blin , je n'ai pas fait les présentations , je vous présente mesdames l'inspecteur stagiaire Le Berre .

- Madame Vaughan , dis-je , bonjour inspecteur .

- Bonjour , fait également Mellie .

  Il nous serre la main , à toutes deux en souriant . Il est brun avec des yeux noirs et porte comme vêtement , ce qui a l'air d'être l'uniforme des inspecteurs , c'est à dire un jean's et un blouson de cuir marron . Sous son blouson , Le Berre porte un polo Lacoste blanc , quant à Blin , il porte une chemisette bleue . Nous passons la porte que Mellie referme derrière nous .

- Bien , fait Blin devant les marches de la terrasse , à tout à l'heure et devançant Le Berre , il s'engage dans l'allée centrale .

- Qu'est-ce que j'ai ri , dis-je à Mellie en m'enfonçant dans un fauteuil de jardin .

- A quel sujet ? Demande-t-elle .

Je lui raconte , elle rit à son tour et convient que nous aurions du guetter le passage des gendarmes .

  Mellie a fait du thé frais , elle m'en sert une pleine tasse . Elle semble soulagée de me voir plus gaie mais redoute certainement , la suite du programme . J'allume une cigarette et aussi incroyable que cela puisse paraître , je me sens bien . Pessimiste , j'ajoute , pourvu que ça dure !

Mellie va à la cuisine préparer le repas , je rentre chercher mes corbeilles de pétales pour les mettre à sécher au soleil et prendre mon guide sur les oiseaux .

J'ai cru remarquer la présence d'une huppe dans le jardin  , je veux m'informer de la possibilité d'une telle visite .Ma lecture m'apprend qu'effectivement , les huppes fasciées , reconnaissables à la grande houppe érectile qu'elles portent sur la tête , nichent en Europe l'été et prennent leurs quartiers d'hiver dans la brousse africaine .Très intéressant , il va falloir que je me mette à l'affût et j'aurai de quoi écrire un article .

  Du coup , je me lève et vais garnir mes mangeoires , Mellie , troublée par sa grande lessive a oublié de le faire . Je nettoie également la grande bassine de porcelaine dans laquelle , les oiseaux ont l'habitude de venir se baigner . Ensuite , je vais voir Lola , elle fait la sieste , je remplis son seau d'eau .

- Tu devrais cueillir des fleurs , me dit Mellie , il y a deux vases sans bouquet dans la salle !

Elle me tend le sécateur , elle a très peur que j'aille à la cave farfouiller dans sa grande lessive ! Je descends les marches et tourne autour de la pelouse , cueillant des roses , des campanules , des delphiniums , des centaurées et quelques cosmos blancs .Comme je reviens , je vois Blin , Durand et Le Berre qui m'attendent au pied des marches .

- Quel beau bouquet !S'écrie Blin .

Je me demande s'il ne m'englobe pas dans le lot !

- N'est-ce-pas , tout frais et très parfumé ! Installez-vous , dis-je encore , désignant les fauteuils sur la terrasse, j'en ai pour quelques minutes .

Ils s'avancent vers la table et je rentre arranger mes fleurs dans la salle .Lorsque je ressors , éblouie par le soleil , Mellie leur a déjà servi un café .

- J'annonce ; je vais chercher un fauteuil supplémentaire au patio !

Durand ayant fait rapidement son calcul mental au sujet des fauteuils restés libres me dit :

- Inutile , mes deux adjoints sont allés récupérer les véhicules et aider les pompiers à transporter le corps !

- Ah bon , dis-je , m'installant à mon tour à la table .

- Vous êtes bien ici ! Lance Blin , pour dire quelque chose .

- Je réponds : En effet , enfin , on était bien !

- Bien sûr , admet-il !

Puisqu'il faut en parler , et bien allons-y , le plutôt sera le mieux . Je lance donc l'offensive !

- Au fait , et ....ce nouveau cadavre , je n'avais pas rêvé  n'est-ce pas ?

- Hélas ! Sourit tristement Blin .

  Je continue , dans le genre Héloïse mène l'enquête .

- De quoi est-il mort celui-là ?

On me regarde , quatre paires d'yeux sont fixées sur moi . Blin prend la parole , c'est lui le chef après tout .

- Il a été poignardé dans le dos ....

- Jusqu'à la garde , rencherrit Le Berre !

- Et bien !

Je n'ai même pas dit : " quelle horreur ! " , m'endurcirais-je ?

- Il a du escalader votre portail , continue Blin et quelqu'un l'a poignardé à ce moment . Comme il l'enjambait , il est tombé de l'autre côté , dans la position où vous l'avez vu . La mort a du être instantanée , la lame du poignard ayant traversé son coeur !

- J'imagine , dis-je , horrifiée , par mon calme . Vous avez vu ses cheveux ? Ils m'ont vraiment frappée !

- C'est une crête d'Iroquois , une iroquoise , ajoute Blin  , c'est ainsi que les Punks la nomment .

- Et la couleur ? Je trouve cela plutôt disgracieux .

  Le Berre rit et s'exclame :

- Chacun ses goûts madame ! Mais vous avez raison , c'est plutôt surprenant lorsqu'on ne connaît pas ce genre de mode !

- Je dis : absolument  et ajoute , au moins celui-là , je pense que vous avez des chances , en montrant sa photo , de recueillir des informations !

- Je suppose dit Blin que vous ne l'aviez jamais vu auparavant , sinon vous auriez été frappée par son iroquoise ?

- Je ne vous le fais pas dire et quant à avoir entendu quoi que ce soit , je vous réponds également négativement !

- Evidemment dit Durand, ça a du se passer la nuit et il n'a même pas eu le temps de crier .

- J'espère , dis-je que le dicton : jamais  deux sans trois ne va pas avoir raison !

- Nous l'espérons également s'exclame Durand .

- Remarquez , dis-je , au bout du quinzième , je vais peut-être finir par devenir blasée comme vous ?

- Faut pas croire , madame , que ça ne nous fait rien , dit Durand , mais que voulez-vous , c'est notre métier !

- Evidemment dis-je , vous n'avez pas beaucoup le choix de vous défiler devant ces sortes de rencontres ! Et vous , dis-je me tournant vers Blin , c'est donc cela votre pain quotidien ?

- Ben oui ! Bien que quotidien soit un peu fort , je pencherais plutôt pour mensuel ! Voyez-vous , ajoute-t-il , les gars de la criminelle sont les croque -morts de la police avec l'équipe des stups !

- Des stups ?

- Oui , les stupéfiants , la drogue quoi , dit-il , en souriant devant mon air ahuri !

- Mais alors dis-je , pour cette affaire , vos deux services sont servis , crime et drogue , c'est une grande distribution .

Blin et Le Berre éclatent de rire !

- Tout à fait finit par dire Blin , avec en plus le mystère le plus complet !

- Nous avons fait paraître la photo du premier mort dans les journaux , nous espérons obtenir des renseignements et des informations grâce aux médias . Demain , la photo de celui-ci paraîtra également ! Dit Blin .

- J'espère que les journalistes seront aussi discrets que la fois dernière , dis-je .

- J'y veillerai , madame Vaughan , dit Blin en se levant , bon, nous allons vous laisser , dès que j'ai du nouveau , je vous téléphone aussitôt .

Ils prennent congé , je décide de les raccompagner .

- Va fermer , la porte des chevaux , dis-je à Mellie , moi je raccompagne ces messieurs .

  A mesure que nous avançons dans l'allée , je sens mes muscles se raidir , mais lorsque nous débouchons au soleil , non loin de l'allée des communs , à ma grande surprise , tout a été nettoyé à grande eau . Les graviers près de la barrière , sont aussi blancs que leurs frères et le bois du portail , ne porte aucune trace du meurtre .

- C'est moi qui ai la clef , dit Blin et il ouvre le portail . Au fait , ajoute-t-il , j'ai oublié de vous dire que deux gendarmes vont monter la garde dans votre allée pendant quelques jours .....Oui , dit-il , voyant que j'allais dire quelque chose , de cette façon , nous allons peut-être acquérir des éléments nouveaux . Ils ne vous embêteront pas , vous verrez ...

- Loin de moi , cette idée inspecteur , dis-je , mais où vont-ils dormir ?

- Mais justement , rit l'inspecteur , pas question de dormir , il faut ouvrir les yeux et les oreilles . Rassurez-vous , ils seront relevés par une autre équipe , je me suis d'ailleurs arrangé avec madame Baudoin pour les clefs . Voilà , à bientôt , de toute façon , madame Vaughan !

  Et il me plante là , avec son : " de toute façon ...! "

- Ah , dit-il , en revenant sur ses pas , fermez le portail et prenez la clef avec vous , la première équipe de garde aura la sienne .

- D'accord dis-je en obéissant , puis je remonte l'allée vers la maison .

Je demande à Mellie :

- Tu savais , toi , qu'on allait être gardées ?

- Oui , répond prudemment Mellie , l'inspecteur Blin , m'en avait vaguement parlé tout à l'heure , je pensais que tu étais également au courant .

- Il vient de m'en parler , dis-je , il espère ainsi découvrir certaines choses .

- C'est ce qu'il m'a dit aussi , répond Mellie .

    Je me lave les mains à la petite fontaine murale , dans l'angle de la terrasse . Mellie a confectionné une grande salade ,  composée de maïs , riz froid , tomates , olives , oeufs durs , sardines à l'huile et un reste de poulet froid . Je me mets rapidement à table , mise en appétit .

  Nous devisons de choses et d'autres .

- Au lieu de ma surprise pour mon achat du champ , dis-je à Mellie , c'est plutôt la surprise au cadavre qui attend Gilles !

- C'est vrai , constate Mellie , le pauvre , il va être aux cent coups !

- Je suis sûre , en plus , qu'il ne va pas être ravi de voir des gendarmes se balader chez nous !

- Il s'habituera comme les autres , répond Mellie .

Nous écoutons ensemble , les histoires extraordinaires de Pierre Bellemare à la radio , comme je le fais remarquer à Mellie , notre histoire , n'est pas ordinaire non plus !

  Soudain , une toux répétée nous fait sursauter toutes les deux , surtout Mellie , un jeune gendarme , embarrassé visiblement de nous avoir fait peur , nous apprend que lui et son collègue sont arrivés prendre leur service .

Je le remercie de son amabilité à nous prévenir puis il s'en va rejoindre son double .

L'après midi se passe calmement , Mellie accaparée par la vaisselle et sa grande lessive demeure invisible jusqu'au goûter !

Assise sur la terrasse , je compulse des revues et vais ensuite , m'asseoir au patio . Après y être  restée environ une heure , je décide d'arroser , les plantes ont soif . Je m'aperçois , qu'il va encore falloir traiter les rosiers , l'humidité et la chaleur ont fait éclore des colonies de pucerons . Didier s'en chargera , j'ai horreur de manipuler les produits toxiques , je suis contre leur utilisation d'ailleurs , mais comme dit Gilles : " le temps que tu récoltes un sac de coccinelles , tes rosiers seront bouffés jusqu'au trognon ! " Evidemment !

Avec Paul , nous avons essayé l'eau savonneuse, sans grand succès , puis l'infusion de mégots , remarquable , mais plus dangereux que certains produits vendus dans le commerce  ! Aussi , pour l'instant , nous avons baissé pavillon écologique et avons acheté des poudres et des liquides respectant un peu la nature , c'est à dire , non nocifs pour les abeilles , les coccinelles , les papillons mais par contre absolument toxiques pour les poissons , donc à éviter au patio !

  Ce sont les plantes en pot qui souffrent le plus du manque d'eau . Je suis modestement en admiration devant mes potées ! J'y ai marié des fuchsias, des verveines vivaces, des pétunias , des ageratums et des géraniums lierre et ma foi , l'effet est plus qu'harmonieux , je suis très satisfaite de moi  en fait !

Après les fleurs , je passe au potager : grande soif aussi . Comme Mellie est toujours invisible et qu'il n'est pas dix-sept heures , je vais chercher un panier à la cuisine et cueille des haricots verts . Quelle vitalité , cette année , tout pousse admirablement bien , particulièrement , les haricots verts , il faut leur rendre visite chaque jour et quelles cueillettes !  Cette année , nous en faisons une véritable cure , à toutes les sauces comme on dit et en fourmi prévoyante , Mellie en a mis en conserves et j'en ai congelés également . Les salades poussent aussi à vue d'oeil et souvent lorsqu'on va en chercher une , on déloge un gros crapaud , couleur de terre qui fait clignoter ses yeux orange , puis dignement , il s'empresse d'aller se mettre à couvert sous un autre plant de salade . Je ne sais pas si c'est toujours le même crapaud , il ne nous dérange pas du tout , au contraire , c'est un précieux auxiliaire pour le jardin !

  Panier à moitier rempli , je remonte à la cuisine .

- Quelle bonne idée , me dit Mellie , j'y pensais justement .

  Elle a un sourire de contentement , la grande lessive doit s'achever , elle se détend !

- On les équeute tout de suite ?

- Mais non , dit Mellie , c'est l'heure du thé !

Ô merveilleux moment ! ( Temps du vocatif en latin ! ) A n'importe quelle saison de l'année .Même avant de devenir Anglaise par mon mariage , je suis née dans une famille où nous avons toujours accompli le rituel du thé ! C'est le moment de la journée que j'adore le plus !

Une superbe tarte au citron , trône sur la table de la terrasse .

- Mellie quelle bonne idée , mon gâteau préféré !

Je lis dans ses yeux , le bonheur de faire plaisir , je l'embrasse en m'écriant :

- Je ne pourrai jamais me passer de toi !

- J'espère bien , répond-elle en riant .

Je suis pour elle , la fille qu'elle n'a jamais eu . Elle adore aussi Gilles bien sûr , ainsi que Leslie et Thomas , mais moi , c'est différent !

Lorsque j'avais quatorze ans , nous habitions à Paris , pâlichonne et anémiée , le médecin de famille qui me soignait à l'époque , avait fini par me prescrire un séjour prolongé au bord de la mer et c'est ainsi que pendant deux années , j'ai habité dans ce coin de Bretagne avec Mellie et Paul et cet endroit où je vis actuellement est le berceau de la famille bretonne d'où est issue Mellie .

Ensuite , mon père ayant été muté dans le sud ( il était dans l'Aéronavale ) , nous avons changé de bord de mer . Cependant des liens maternels s'étaient noués à jamais entre Mellie et moi , nous ne nous sommes jamais quittées . Après mon mariage , elle m'a accompagnée en Angleterre , délaissant le pauvre Paul , puis aux Etats Unis , en Allemagne , en Australie , au Chili , à Hong Kong ....enfin partout où Alexander , mon mari nous emmenait au hasard de ses affectations . Nous étions de grandes voyageuses à l'époque ! L'avion ne nous faisait pas peur à ce moment-là ! Et puis , il y a eu cet horrible accident et la disparition à jamais d'Alexander, nous étions en Allemagne à l'époque . Dans le mois qui suivit cette tragédie , Mellie a tout pris en main , Paul étant retraité à présent , elle a ramené tout son monde en Bretagne , le meilleur air du monde , comme elle dit toujours .

Sa famille m'a vendu le terrain d'un hectare et demi sur lequel j'ai fait construire la maison où nous habitons maintenant . Nous avons rapatrié nos chevaux et depuis quatre ans , la vie s'y déroule sans heurts .

Gilles ensuite , a décidé de venir habiter chez moi , ce qui m'a fait plaisir et Paul a reconverti sa retraite d'ancien de la Royale , en jardinier du palais !

   Ma mère , nullement frustrée dans son amour maternel par le départ de ses deux aînés , a concentré toute son attention sur notre frère , de dix ans plus jeune que moi . Ce dernier , mène sa vie d'enfant unique entre son Papa et sa Maman à Nice où il se complet , totalement immature , dans le cocon familial !

Mon père , toujours de bonne humeur , en retraite également , partage son temps entre les parties de boules , la pêche et son club de bridge . Il adore venir ici : " la pêche en Bretagne , c'est formidable " dit-il , évidemment ça change des rascasses ! Par contre Maman et Armand , et oui , mon frère se prénomme ainsi , s'ennuient à mourir .

- Comment peux-tu vivre dans ce pays de sauvages ? Me demande-t-elle à chaque fois . T'enterrer à ton âge , tu es folle ! Sors bon sang , bouge , remue-toi , vends ta maison , viens t'installer sur la Côte d'Azur , tu feras des connaissances ! Encore , passe pour toi , ma foi si tu aimes la solitude , mais pense à tes enfants , tu vas en faire des reclus ....

Et la litanie continue jusqu'à ce qu'elle boucle ses valises pour aller retrouver ses habitudes de femme mondaine à Nice  . Papa suit docile , mais je sens qu'il aimerait bien rester ici !

- Quel appétit ! S'écrie Mellie .

J'ai mangé à moi toute seule , la moitié de la tarte au citron !

- Je réponds : j'adore !

- J'ai fait du café , continue Mellie , je vais porter la thermos aux gendarmes , j'ai même envie de leur donner une part de tarte .

- Je ris et dis : Ils vont trouver la maison si bonne qu'ils auront  du mal à nous quitter , tu vas voir !

  Madame Mellie , comme on l'appelle ici , sourit et disparaît avec son plateau à la recherche de nos gardiens . Elle revient bientôt satisfaite des compliments et remerciements qu'on lui a fait .

- Je vais leur apporter deux fauteuils de jardin et un cendrier , ajoute Mellie , les pauvres , ils sont là à faire les cent pas !

Je ne dis rien mais je m'amuse , j'imagine la tête de l'inspecteur Blin arrivant à l'improviste et découvrant ses hommes , tranquillement installés , en train de déguster de la tarte au citron entre deux gorgées de café ! Je donnerai cher pour voir sa tête !

La soirée a été tranquille , pas d'appel téléphonique , nous avons dîné rapidement , regardé un film à la télévision et en plein milieu , l'équipe de relève est venue se présenter . Mellie organisée , leur a rempli deux thermos de café brûlant , ils n'ont pas refusé ! Après le film , nous avons regardé les informations : beaucoup de sécheresse , surtout dans le sud-ouest , ensuite , nous sommes allées nous coucher .

              Samedi matin , c'est un grand jour d'animation dans le pays : c'est le jour du grand marché de Saint Renan . Comme tout le monde , Mellie et moi même , nous préparons à nous y rendre , pour rien au monde , nous manquerions ce grand jour ! Elle , pour acheter ses fruits à des petits marchands qu'elle connaît depuis toujours , moi , pour ma visite hebdomadaire à mon pépiniériste . On prend la 4RL commerciale , au moins c'est spatieux ! Mellie conduit toujours , même lorsque Gilles nous accompagne , assis sur une botte de paille à l'arrière ! Quand les enfants sont là , on va à deux voitures .

- J'espère qu'on va pouvoir sortir !

- Pourquoi tu dis ça ? S'inquiète Mellie .

- Sait-on jamais , il y a peut-être un nouveau cadavre dans l'allée ?

- Ah non ! Pas aujourd'hui , c'est sacré ! Répond Mellie

- oh , tu sais , sacré , pas sacré , ils ont l'air de ne pas s'en inquiéter beaucoup nos assassins .........

Elle m'interrompt :

- Ne prononce pas ce mot-là , je n'aime pas du tout !

- Moi , c'était , cadavre , dis-je , je commence à m'y faire , tu verras , tu t'y feras dans quelque temps .

- Arrête de dire n'importe quoi et presse-toi , je n'aurai plus le premier choix chez P'tit louis !

  Je me lève en riant et vais me brosser les dents . Mellie m'attend sur la terrasse , trois grands paniers aux bras . Nous descendons l'allée centrale , les gendarmes , confortablement installés dans mes fauteuils , se lèvent à notre arrivée . Nous les saluons et nous nous dirigeons vers l'endroit où on gare les voitures , pompeusement appellé parking  ! Mellie entasse les paniers à l'arrière et prend le volant , assise à côté d'elle , j'allume une cigarette . A notre bonne surprise , le portail est grand ouvert et un des deux gendarmes guide Mellie à faire sa sortie sur la route . Nous les remercions d'un gentil signe de la main .

- Ils sont très bien dis-je , c'est peut-être à nous , qu'ils vont manquer finalement , s'ils prennent la bonne habitude de nous éviter les corvées !

Car il faut bien l'avouer , ouvrir et refermer  le portail derrière soi ne m'a jamais particulièrement excitée !

Le soleil brille , la route est belle en  plus c'est samedi , jour de marché et je suis contente d'y aller , que demander de plus  ?

Mellie me dépose devant l'étalage du pépiniériste et part rapidement garer la voiture afin de rendre visite à P'tit Louis , le marchand de fruits . Le pépiniériste m'accueille en souriant comme d'habitude , d'une part , je suis une bonne cliente mais d'autre part , je crois qu'il aime bien discuter avec moi , je connais assez bien les plantes et suis toujours à la recherche du nec plus ultra végétatif .J'admire ces cistes , il en a une belle collection , dommage que je les ai déjà tous à la maison !

- Que puis-je pour votre service, madame Vaughan ?

- Avez-vous mon feijoa , mon callistemon et mon clianthus ? Je suis impatiente de le savoir !

- Oui , madame Vaughan , me dit-il , ils sont dans mon camion , cachés , ajoute-t-il à voix basse en riant ! Mais allez faire un tour du côté des hortensias et il me désigne l'endroit de la main ! Je suis sûr que deux plantes vont vous faire envie !

  Et , il me laisse , se dirigeant vers d'autres clients moins exigeants qui trouvent leur bonheur parmi les oeillets d'Inde et les pélargoniums . A l'endroit indiqué , je tombe effectivement en arrêt devant une plante herbacée d'où émergent de grandes et gracieuses hampes florales roses .

- Magnifique ! Je parle toute seule .

L'autre plante , un plumbago est certes attrayant , mais moins captivant que la première plante ! Je me penche pour découvrir son nom .

- Dierama , dit le pépiniériste dans mon dos , on l'appelle aussi la canne à pêche des anges.

- Je m'exclame : Comme c'est joli ! Je les prends bien sûr! Quelle question n'est-ce pas ?

Il rit et me dit :

- Plantez votre dierama près de votre bassin , l'effet n'en sera que plus beau !

Il empoigne les deux pots qui vont rejoindre les autres. Je règle mes achats , il me dit de passer à la pépinière la semaine prochaîne , il attend un arrivage de vivaces intéressantes ! Je lui dis que je viendrai sûrement et qu'on passera tout à l'heure chercher les plants .

Maintenant , il faut que je retrouve Mellie dans cette marée humaine qui marche en tous sens et qui s'agglutine devant les étalages des camelots !

Un Noir , accroupi sur ses talons , vend parmi des sacs à main en croco , des chapeaux , des gris-gris et tout un bazar , de très jolies boucles d'oreilles en perles de verre , assemblées joliment en grappes de raisin et en compositions florales de très bon goût , rien à voir , à mon avis avec l'art africain ! Me voyant intéressée , il commence à me vanter sa marchandise dans un français approximatif , je lui parle en anglais , un sourire étincelant illumine son visage et la conversation s'engage rapidement . J'apprends qu'il est étudiant à Paris et qu'il fait ça , comme beaucoup d'autres , pour payer ses soirées comme il dit ! A mon étonnement sur l'origine africaine des boucles d'oreilles qui m'intéressent , il me confie que c'est une amie française qui les crée , je lui prends deux paires : des grappes de raisin dans les tons jaunes et des fleurs violines et roses puis on se quitte bons amis .

  Je finis par dénicher Mellie après des tours et des détours sur la place très encombrée . Elle palabre avec un exposant au sujet d'une paire d'espadrilles ! J'attends qu'elle ait gagné son marchandage avant d'apparaître . Quand je vois son vis à vis baisser les bras à court d'arguments et Mellie triomphalement régler son achat , je me manifeste .

- Dis un prix  ? Me sussurre-t-elle  .

- Je ne sais pas , je n'ai aucune idée , dis-je !

- Il les faisait vingt-cinq francs et bien je les ai eu pour dix francs !

- Bravo ! Tu n'as rien perdu du marchandage d'antan et j'ajoute , tu te rappelles à Hong Kong , même lorsque nous arrivions à faire baisser le prix de moitié , nous n'étions pas satisfaites !

- Si je m 'en souviens ! Et la fameuse nappe en tulle brodé , pendant deux heures nous sommes restées à la marchander , souviens-toi !

- Oui , oui , deux heures de palabres , mais quel succès ! Des cinq cents dollars  Hong Kong demandés , nous l'avons eue à deux cents ! Je crois que ça a été notre plus bel exploit !

Je soulage Mellie d'un panier et nous essayons d'avancer à contre courant jusqu'au parking . Nous rangeons les paniers à l'arrière de la voiture , puis passons chercher mes plants que nous arrangeons du mieux possible , ensuite direction le super marché !

  Les allées entre les rayons comme d'habitude sont très encombrées , les produits toujours rangés avec une logique qui ne correspond jamais à la mienne . Après quelques passages au rayon  : conserves de poissons , j'ai beau écarquiller les yeux et Mellie  ajuster ses lunettes , nous ne trouvons pas les crevettes , ce serait dommage pour les avocats ! Agacée , j'interpelle une vendeuse occupée à marquer des articles .

- Près de la poissonnerie , me dit-elle !

  Ben voyons ! Mais où avions-nous la tête ? Je plante Mellie et marche jusqu' à l'autre bout du magasin , un étalage , genre marchande des quatre saisons , avec fausses algues , faux poissons jouxte l'étal de la poissonnerie et présente effectivement toutes les crevettes en conserves ! J'attrape deux boîtes de Norvège et prudente , je jette un regard circulaire , au cas où les spaghettis auraient atterri dans le voisinage , mais non , du moins pas aujourd'hui ! Je récupère Mellie à l'autre bout du magasin , elle vient de tomber par hasard sur le sucre au rayon des eaux minérales ! Une chance , sinon , nous étions bonnes pour quelques autres tours de piste !

La liste de Mellie étant entièrement barrée , nous passons à la caisse et sortons enfin , j'ai horreur d'aller au super marché !

Nous rangeons tout ça dans la voiture et allons prendre un thé comme d'habitude . Mellie met la voiture à l'ombre devant la pâtisserie , je n'ai pas envie que mes plantes et toutes nos provisions attrapent un coup de chaud  .

La pâtissière nous accueille avec son grand sourire , Mellie prend un baba au rhum , moi un russe et nous nous installons dans l'arrière salle baptisée salon de thé . Cela me fait toujours sourire ce nom , parce que ici , à part nous , tout le monde boit du café ! On s'installe à une petite table ronde , Mellie salue des connaissances , nous dégustons nos gâteaux et buvons notre thé paisiblement . Pas pour longtemps , levant les yeux par hasard sur un couple de petits vieux , assis non loin de nous , je ne vois que le gros titre du journal que tient en mains le pépé : rebondissement dans l'affaire du cadavre découvert dans l'allée d'une propriété . Hier , madame V. , la propriétaire des lieux a eu la désagréable surprise d'en trouver un second , poignardé près de son portail ! Le reste est écrit plus petit , je ne peux pas déchiffrer . Discrètement , j'attire l'attention de Mellie sur ma découverte, elle tend le cou pour mieux lire . Sa lecture terminée , nous écourtons le plus rapidement possible notre pause pâtisserie . En sortant , je dis à Mellie :

- Attends-moi près de l'église , je vais acheter les journaux au bureau de tabac .

Pendant qu'elle se dirige vers la voiture , je remonte une ruelle pour atteindre la librairie de presse . J'achète le Télégramme , l'Ouest France , quelques périodiques et une cartouche de Peter Stuyvesant . Ensuite , passant entre la mairie et des maisons classées , je rattrape Mellie près de l'église .

- On lira ça à la maison dis-je .

Je ne peux pas lire en voiture , ça me barbouille !

- J'ajoute : tu as vu ils ont mis madame V. dans le titre , j'espère que dans l'article , ils ne donnent pas mon nom en entier !

-  Je l'espère aussi , dit Mellie , ennuyée par cette reprise brutale des évènements .

Notre court trajet s'effectue rapidement , l'équipe de relève , les mêmes que ceux d'hier après-midi , s'empresse de nous ouvrir le portail , ils sont très souriants .

  Mellie conduit la voiture jusqu'à la terrasse , nous y arrivons , saluées par des hennissements , aboiements et miaulements : Lola , les chiens et Charlotte sont visiblement heureux de notre retour .

- Va lire , me dit Mellie , je vais débarrasser .

  Et elle s'en va vers la cuisine paniers aux bras , escortée par les bichons et Charlotte . Ils savent que le boucher ne les a pas oubliés , comme d'habitude .

Je me sers une tasse de thé , gardé au chaud sous le cosy et déplie le télégramme. Sous le titre que j'ai déjà lu à la pâtisserie, il est mentionné en petits caractères que la police nage en plein mystère et que le seul lien commun entre les deux morts est la drogue ! En effet , le punk s'adonnait également à la drogue . Rapidement je passe à la page cinq du quotidien , rien de plus que je ne connais déjà ! Soulagement , ils ne mentionnent pas mon nom en entier , par contre la photo du punk s'étale sous mes yeux avec ces deux brèves lignes : quiconque aurait rencontré cet homme de son vivant est prié de se mettre en rapport avec la police !

Le mort semble avoir à peu près dans les vingt-cinq ans , ses yeux d'un bleu normal, semblent maquillés de traits bleus , à moins que ce ne soit un défaut du cliché , et son visage est lisse et glabre , trop pâle aussi . Je ne peux m'empêcher de penser qu'il a été saigné comme un porc , brrrr, je ferme les yeux sur cette vision d'horreur et ...le Télégramme en même temps . L'Ouest France , plus discret ne mentionne même pas l'initiale de mon nom , je lui accorde aussitôt toute ma sympathie , les photos des deux morts côte à côte , trônent en page régionale .

- Alors ? Dit Mellie essoufflée , s'asseyant à son tour .

- ça va , dis-je , tiens , lis toi-même et je lui tends les journaux !

  Mellie se plonge dans la lecture , je cherche mon sac à main , j'ai envie d'une cigarette, évidemment , il est encore invisible . Je descends vers la 4RL , il trône sur la banquette, mais mes yeux tombent en arrêt sur mes plantes que Mellie a rangées au pied des marches , à l'ombre . Changeant de cap , je me dirige vers la cave , je reviens armée d'une bêche et d'un arrosoir . Prenant conscience que je suis en chaussures à talons , je les ôte et entre dans la cuisine , récupérer les sabots de Mellie . Ce n'est pas très évident , pieds nus , mais ça ira . Mellie est toujours dans sa lecture , je prends le dierama , le feïjoa , la bêche et direction le patio !

Marchant sur les pierres du pourtour du bassin , au risque de choir dans l'eau , tant mon équilibre est rendu précaire à cause des sabots de Mellie , j'émerge cependant près de l'endroit où j'ai décidé de planter ma canne à pêche des anges . Ensuite à l'autre extémité , j'installe mon féïjoa , non loin d'un grenadier . Le pépiniériste avait raison :  le diérama inclinant ses trois hampes florales au-dessus de l'eau de mon bassin , c'est vraiment remarquable .

- Merveilleux ! Fait la voix de Mellie dans mon dos , elle ajoute : viens les hamburgers sont prêts !

Ce repas fait partie comme le reste , des rites du samedi ! Je me lave les mains et m'attable rapidement , c'est délicieux ! Mellie en face de moi , mange la même chose, mais sans pain brioché , elle a peur de prendre de l'embonpoint !

- J'en ai faits pour les gendarmes , dit-elle s'excusant à moitié !

- Je réponds la bouche pleine : tu as eu raison, puis ayant dégluti , j'ajoute : je vais téléphoner à Didier pour qu'il vienne m'aider à planter le reste de mes achats cet après-midi .

Mellie me fait signe de me taire , c'est l'heure de Pierre bellemare ! Je m'aperçois que le titre de l'émission , n'est pas comme je le croyais : les histoires extraordinaires , mais : les assassins sont parmi nous , ce qui est on ne peut plus d'actualité ! Cherchant , une fois de plus mon sac à main , pour prendre une cigarette , je me dirige à nouveau vers la 4 RL , d'où je l'extirpe cette fois-ci !

  Pas question de faire du bruit, Mellie s'est évanouie dans l'histoire invraisemblable que raconte monsieur Bellemare . Je rêve donc , regardant la fumée monter toute droite . Je ne porte qu'une robe légère en tissu blanc très fin et j'ai trop chaud . Pas le moindre souffle de vent dans mes cheveux qui me tiennent très chaud . Je me lève , me tords le pied , j'ai toujours les sabots de Mellie aux pieds , je les range , remets mes chaussures à brides et prends mon chapeau de paille dans l'entrée . Mellie est toujours sous l'emprise du conteur . Je réfléchis mollement aux endroits à bêcher tout à l'heure .......

- Il y a des gens qui n'ont vraiment pas de chance ! Dit Mellie .

ça doit être la conclusion du récit !

- Qu'est-ce que tu dirais , d'une petite glace aux framboises du jardin avec des petites langues de chat ? Me demande Mellie , gourmande .

- Ma foi , dis-je et elle se lève .

- Tu n'as pas bu ?

- Je réponds : non , qu'est-ce que c'est ?

Je regarde un verre sur la table rempli d'un peu de liquide jaune .

- Du magnesium, dit Mellie , allez bois , tu en as besoin !

Je m'exécute , ce n'est ni bon , ni mauvais , d'ailleurs inutile de discuter , si Mellie a décidé que j'en avais besoin , personne au monde ne lui fera changer d'avis .

- J'interroge : une cure de combien de temps docteur ?

Mellie joue le jeu .

- La boîte entière , à raison de deux absorptions par jour , matin et midi , ma petite dame !

- Petite ? Là vous exagérez , docteur , je mesure un mètre soixante-douze à plat , rajoutez cinq ou six centimètres de talons et faites le total ! C'est loin d'être votre cas , docteur , je dirais .........je fais semblant d'évaluer .......oui , je dirais un mètre soixante-trois avec talons !

- Faux ! Répond Mellie , se redressant : un mètre soixante - cinq à plat !

- Qu'importe, dis-je , je suis la plus grande !

Elle rit et va chercher le dessert .

J'éteins le poste , reprends une cigarette et vais téléphoner à Didier . C'est sa mère qui me répond , elle est désolée , il a embarqué hier sur un bateau de pêche et ne reviendra pas avant ce soir très tard ou même demain matin . Je lui dis que ce n'est pas grave et pourquoi , j'aurais aimé qu'il vienne . Elle en profite pour me demander discrètement si je tiens le coup , nous nous quittons sur mes paroles rassurantes .

J'annonce à Mellie que Didier est en mer .

- Sur quel bateau ? Me demande-t-elle .

  Je lui dis que je n'en sais rien ! La glace est délicieuse et nous rafraîchit fort agréablement . Il fait si chaud que je n'ai pas du tout envie de bêcher ! Comme si elle lisait dans mes pensées , Mellie me dit :

- Tes plantes peuvent bien attendre le retour de Didier , elles ne risquent rien , elles sont en containers .

- Tu as raison , dis-je , je vais me contenter de bien les arroser .

La conscience en paix , je me plonge dans la lecture de ma revue de jardin . Mellie a ouvert le parasol avant d'aller faire la vaisselle et je me sens revivre . Les chiens appréciant l'ombre également , dorment allongés de tout leur long près de moi . Vanessa pousse des petits cris et des grognements étouffés, elle doit rêver ! Les articles et reportages  comme toujours sont intéressants et je les dévore !

Lorsque je tourne la dernière page de mon magazine , encore rêveuse des beautés que je viens de découvrir , je m'aperçois que j'ai soif . Un petit vent agite le parasol et le ciel est envahi par de gros nuages paresseux , cependant l'atmosphère est lourde , un orage se préparerait-il ?

Lorsque j'arrive à la cuisine pour prendre un coca , je trouve Mellie complètement catastrophée .

- On a oublié d'acheter le pain ! Me dit-elle .

- Evidemment , on a quitté la pâtisserie comme deux voleuses !

- Je vais aller en acheter , dit-elle .

- Laisse , ne te dérange pas , je n'ai rien à faire , j'y vais , mais d'abord à boire !

Je prends une paille , puis un coca dans le réfrigérateur . Quelle soif ! J'ai bien envie d'en prendre un second .

- Tu ferais mieux de boire du thé , dit Mellie , qui n'arrive toujours pas à s'habituer à ces "saletés " comme elle les appelle .

- Fais du thé glacé , alors , dis-je , passant outre son conseil .

- Voilà ! Dit-elle , jetant un coup d'oeil réprobateur à ma deuxième bouteille de coca .Trois baguettes , un pain moule  et du pain de mie . Je te l'ai marqué ici et elle me tend un papier où je reconnais son écriture pointue et appliquée .

- That's all ?

Je repose mon coca à moitié plein sur l'évier , je ne me sens plus le courage d'en boire d'avantage !

- That's all , répond-elle en souriant !

- J'annonce : Je vais ranger la 4RL au parking mais je prends la R5 !

Je prends son papier , le billet de cinquante francs qu'elle me tend , je les glisse avec mon paquet de cigarettes et mon briquet dans la poche de ma robe et je pars en criant :

- A tout de suite !

  Quatre heures sonnent au clocher, sur le parking , je change de voiture , quand je me pointe à l'angle de l'allée centrale et de l'allée des communs , Jules et jim , j'ignore leurs noms , se lèvent pour faire leur nouveau métier de portier . En les remerciant , passant devant eux , je leur dis d'aller chercher des boissons fraîches à la maison . Jules ou Jim , me remercie en souriant .

- Quelle chaleur , ajoute-t-il !

- On va avoir un orage , dis-je.

- ça ne m'étonnerait pas répond-il et je file .

Dans la voiture qui a mijoté au soleil , vitres fermées , c'est irrespirable , je baisse la vitre pour essayer d'avoir un peu d'air , mais c'est vraiment léger . Mes mains sont moites et dérapent sur le volant , quelle horreur !

Une voiture bleue , couverte d'auto-collants est arrêtée à un stop sur ma droite , le capot dépassant largement la bande blanche , je fais une embardée et continue ma route . Au croisement suivant , je mets mon clignotant à droite et me retrouve sur une étroite route goudronnée qui me sert de raccourci . J'aime cette route qui serpente à travers les champs avant de descendre vers un petit bois sympa et de remonter à nouveau à travers les champs . Je roule doucement pour pouvoir surprendre comme je le fais souvent , des perdrix , des pics verts , des poules d'eau . Dans les derniers virages avant d'amorcer la descente , je m'aperçois que je suis suivie par une voiture , la voiture bleue de tout à l'heure , ça me dérange , j'aime être seule sur ma petite route . Je continue à conduire tranquillement et commence à descendre la pente , un coup d'oeil dans mon rétroviseur m'apprend qu'on me suit docilement .

  Soudain , alors que j'arrive presque au creux du vallon , la voiture bleue accélérant brutalement dans un ronflement d'enfer , me double ! Il est fou , me dis-je , serrant le plus possible ma droite et ralentissant au maximum et , tout à coup , alors que le véhicule m'a presque entièrement dépassée , le chauffeur oblique à droite me forçant à m'arrêter .

- Quel con! Dis-je , mi- en colère , mi-stupéfaite !

 

 

Avant que j'ai eu le temps de faire quoi que ce soit , deux énergumènes sortent de la voiture bleue immobilisée devant moi , l'un d'eux ouvre ma portière et m'extrait de mon siège en m'empoignant brutalement par le bras !

- Je crie : mais vous êtes fou ! ça ne va pas ?

Quand je vois la tête de l'autre , j'ai un mouvement de panique , il porte en guise de coiffure , une iroquoise rouge ........rouge sang !

- Alors putain , hurle-t-il dans ma direction en m'allongeant une gifle qui m'assomme à moitié , on mange avec les flics !

  Complétement hébétée , je n'ai pas le loisir de répondre , une deuxième gifle magistrale me fait perdre connaissance !

Fin du 2ème Chapitre

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Commentaires
L
Hou lala!! quelle affaire mais comme je parts au boulot je n aurais pas le temps ce matin d en lire les aboutissants ,je reviendrais , es ce de toi ? Le "bout du monde" comme partie du titre me dit que ça se passe dans le Finistère !!!! bisous a+
T
La suite....je veux la suite ....c'est trop captivant ! J'adoooooore ce genre d' histoire, que, quand tu lis, tu as l' impression d'y être ! Bisous ! Bonne nuit !
M
chez ns canicule encore 32° à 19h!!!che calor brigand en souffre et ns aussi !!!plein de bisous
L
Galère il va falloir que j'attende pour avoir une suite , merci de m'avoir mis l'eau à la bouche lol .Pour ma part j'ai rangé mes photos ce WE reste plus qu'a les mettre sur cd pour les sauvegarder,et essayer de ne plus se laisser envahir une prochaine fois Bonne soirée et bisous
Adélaïde's accounts
  • J'adore la Nature, j'aime m'y promener, la photographier, faire des rencontres florales et animales. Je vis en compagnie de cockers et de chevaux. Mes passions sont le jardinage et l'écriture.
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