LA PÊCHE AUX TÊTARDS OU LES CHAUSSURES DE NOCE

Quand cette histoire eut lieu , mon petit frère devait avoir neuf ans . Nous étions un jeudi , c'était notre jour de congé hebdomadaire et le samedi suivant , une de mes tantes se mariait . Maman nous avait acheté une paire de chaussures neuves à chacun d'entre nous , nos habits étant faits sur mesure par la couturière de la mariée . Je trouvais mes babies vernies très chic , en plus elles s'attachaient à la cheville par une lanière , c'était la première fois que j'allais porter ce genre de chaussures , donc j'étais très fière pour une fois d'être une fille ! Les aînés n'avaient aucun souci avec leurs propres chaussures noires à lacets , seul mon petit frère se plaignait d'avoir mal aux orteils et que ses chaussures neuves , lui serraient trop le pied , le gênant également à l'arrière .

    Maman les lui faisait donc porter ce jeudi , pour les faire à son pied , en lui recommandant de ne pas se mettre à genoux pour ne pas abîmer le vernis des chaussures neuves . Sage comme une image , il lisait des illustrés devant la fenêtre . Nous trois , on attendait nos copains qui devaient arriver d'un moment à l'autre , on avait projeté d'aller chercher des têtards dans un vieux lavoir laissé à l'abandon à environ trois kilomètres de la maison . Bien sûr nous étions en Bretagne .

  Lorsque nos trois copains sont arrivés très excités , munis de bocaux et d'une vieille épuisette , nous sommes partis à travers champs rejoindre le fond d'un bras de l'Aber Ildut que l'on nomme en breton : Milin Naot . Notre joyeuse troupe arriva en une demi-heure auprès du lavoir où deux dames à genoux dans leur caisse en bois lavaient leur grand tas de linge en parlant breton !

On leur a dit bonjour et répondant à leurs questions , on a expliqué le but de notre présence . En prenant bien soin de ne pas glisser sur les grandes pierres plates de granite recouvertes de mousse savonneuse , nous sommes passés de l'autre côté  du déversoir et à environ cinquante mètres dans une petite prairie humide , nous avons trouvé notre vieux lavoir , laissé à l'abandon  . Une épaisse peau de mousse verte le recouvrait aux trois quarts , les garçons se servirent du manche de l'épuisette pour repousser cette masse verte et agenouillés sur les vieilles pierres déchaussées , nous scrutâmes son eau peu profonde . C'était très glauque et franchement pas très engageant ! A l'aide de l'épuisette , on commença à en pêcher cinq ou six , bien noirs , bien vivaces qui bougeaient frénétiquement  leur petite queue  . Les garçons voulaient en attraper quelques uns dont les pattes étaient déjà formées , mais ce n'était déjà pas facile d'en attraper des petits , à croire qu'ils allaient se cacher !

   Soudain , on a entendu les deux dames qui criaient quelque chose et quelques instants après , mon petit frère arrivait en courant vers nous !

- Tu étais passé où ,  demanda un des garçons ?

- Je lisais et je ne vous ai pas entendu partir . La vache , ça glisse là-bas , j'ai failli me prendre un plongeon , direct dans le lavoir , j'ai fichu la trouille aux laveuses !

- On a entendu !

- Alors ça donne quoi ?

Nous étions sauvés , le spécialiste en tout genre venait d'arriver !

- Pas grand chose apparemment dit-il en jetant un coup d'oeil aux bocaux .Passez-moi l'épuisette !

  Et le voilà , armé de l'outil de pêche , arpentant les bordures du lavoir puis d'un geste habile fourrageant dans l'eau trouble et ma foi , sa pêche était fructueuse .

Soudain , je ne sais pas comment il s'est débrouillé mais en glissant il a posé un pied au fond du lavoir !

- Voilà comment , dit-il en se marrant , secouant son pied , on charge une chaussure ! Oh m** ......mes chaussures de la noce !

On était tous morts de rire , non pas parcequ'il avait trempé son pied dans le lavoir mais parcequ'il avait oublié de changer de chaussures avant de venir patauger dans les prairies humides .

- Comment , je vais faire ? Vous croyez que Maman va voir ?

  Pour l'instant on était incapable de lui répondre tellement on riait ! Ensuite , il a ôté sa chaussure , on l'a essuyée avec ce qu'on avait sous la main , c'est à dire pas grand chose , puis je lui ai fait ôter sa chaussette sèche de son pied droit et il l'a enfilée à gauche dans la chaussure trempée . Evidemment ça nous avait stoppé net notre pêche aux têtards ! Nous sommes rentrés , toujours à travers champs , à la maison . Mon grand frère est allé espionner notre maison pour savoir où se trouvait Maman , puis il est revenu nous chercher , mon petit frère a ôté ses chaussures sales , on les a essuyées , j'ai passé sous l'eau sa chaussette puis l'ai mise à sécher sur le fil , ensuite après maints pourparlers , nous avons décidé de bourrer sa chaussure de papier journal et de tout emballer dans le carton des fameuses chaussures , ni vu ni connu !

   Maintenant , il n'y avait plus qu'à attendre , on lui avait conseillé de les remettre le lendemain soir pour voir dans quel état ELLE était ! Dans la soirée  , il est donc allé sortir ses chaussures de noce , bien sûr , il n'y avait eu aucun miracle , le papier de soie blanc qui les enveloppait avait des auréoles jaunâtres et l'intérieur de la chaussure était toujours aussi trempé !

     Le samedi , sans sourciller , Gilles enfila ses chaussures dont l'une était beaucoup plus terne par rapport à l'autre, et ............ toujours trempée  et se tint à une distance respectueuse de Maman de peur que son oeil avisé ne décelle l'anomalie !

En fait , à part nous , personne ne s'en aperçut et mon incorrigible petit frère échappa à un savon hautement mérité !

Fin

Comments

[Titi]

Mais quelle bande de chenapans tu faisais toi et tes frères ! Quand j' étais gamine, moi aussi j'allais à la pêche dans le vieux lavoir qui malheureusement maintenant est détruit ! Ce n'est pas celui de mon assos, mais un autre .