LA GRENOUILLE

Une histoire vécue .

  Fille unique au milieu de trois garçons, un frère aîné et mon cousin du même âge qui vivait chez nous et que j'ai toujours considéré comme un autre grand frère et un petit frère très amusant qui ne ratait jamais une occasion de se faire remarquer , voilà  ma place dans ma fratrie . Tout ce petit monde avait un an d'écart , c'est à dire que quand j'avais dix ans mes deux grands frères en avait onze et le petit neuf ans .

Ma foi , les Quatre Mousquetaires, comme nous appelait mon père, s'arrangeaient plutôt bien , surtout dans les bons coups . Bien sûr , j'étais D'Artagnan, je montais déjà à cheval depuis longtemps mais on n'en avait pas encore à nous , chez nous , puisqu'on passait notre vie à déménager à cause du métier de mon père et que souvent on vivait même en appartement! C'était déjà assez compliqué comme cela , alors un cheval en supplément ne nous aurait pas franchement arrangés ces années-là !

  Donc mon vélo c'était mon cheval , je lui mettais des rênes et debout sur les étriers , comprenez sur les pédales , je dévalais les ruelles en pente avec mes frères qui préféraient mettre des cartons avec des épingles à linge sur les rayons de leur monture respective pour faire beaucoup de bruit ! Nous avons vécu longtemps dans le Midi de la France : Nice , Juan-Les-Pins , Vence puis à St Jean de Luz, Cherbourg ,  Paris et à Verthiers , un charmant petit village au bout du Lac d'Annecy près de Talloires .

C'est là , qu'un après-midi , je me suis maîtrisée pour ne pas hurler de dégoût ! Assise à l'extrémité du ponton qui s'avançait dans le lac , j'ai senti qu'on venait de mettre dans mon dos quelque chose de froid , de glissant et de tressautant qui essayait de s'échapper de mon chemisier retenu dans la ceinture de mon pantalon .

Des cris de joie et de bonheur émanant des garçons qui venaient de réussir leur exploit - gloire à celui qui l'avait accompli -  et qui se tenaient devant le ponton sur la terre ferme , savourant à l'avance ma réaction, me renseignèrent sur les auteurs de la farce , je m'en doutais un peu quand même ! J'avais environ une huitaine d'année, je me suis dit ,surtout , ne pas céder à la panique, ni au dégoût qui commençaient à m'envahir , ils seraient trop contents ! Tranquillement, heureusement qu'ils ne voyaient pas mon visage grimaçant de dégoût, puisque je leur tournais le dos , j'ai commencé par sortir le bas de mon chemisier de la ceinture de mon pantalon et d'une main apeurée , j'ai saisi , dégoûtée , la bestiole qui s'énervait sur la peau de mon dos . J'ai ramené ma main devant moi , n'osant ouvrir les yeux et puis , la curiosité aidant , j'ai risqué un regard et là , j'ai rencontré un magnifique regard encore plus apeuré que le mien . Celui d'une adorable jeune grenouille rousse tâchetée de brun , ses jolis yeux étaient dorés à pupille horizontale .

  Les rires s'étaient tus à l'autre bout du ponton ! J'ai attendu , un moment , histoire de me dérider un peu et d'un air détaché , je me suis avancée vers eux .

- Où l'avez-vous trouvée , elle est adorable ?

Il aurait fallu un appareil photo pour saisir leurs mines dépitées . Raté mes jolis , pensais-je , mais j'avais quand même eu très peur ! Curieusement après cet exploit raté , mes frères qui connaissaient pourtant mes aversions pour les vers de terre , limaces et autres escargots , ne m'ont plus jamais enquiquinée avec un animal exécré !

Tranquillement , j'ai déposé  la jeune grenouille où ils l'avaient capturée , j'étais assez fière de moi , et mon père s'il avait été là , m'aurait chaudement félicitée , j'en suis sûre !

Fin