LES GRAVETTES
J'avais onze ans environ, quand mes parents lassés des locations en Bretagne , ont fait un emprunt pour acheter une vieille ferme en bordure de mer dans le finistère, non loin du joli petit port de Lanildut sur l'Aber Ildut . ( Toujours la maison de Papy , actuellement ) . Ainsi lorsque mon père était basé à Brest on avait de quoi se loger . Bien entendu , en plus de l'équitation qui me passionnait toujours , nous avons commencé à nous initier à la voile et ça nous plaisait bien . Mon père ses jours de permissions , partait en canot de pêche avec des amis chercher du lieu de ligne, il posait aussi des casiers et un petit filet. Pour appâter le lieu , il achetait de la gravette à la passeuse , une vieille femme au franc parler qui pour moins d'un franc vous faisait la traversée de l'Aber Ildut , en barque. En plus elle cherchait des gravettes blanches dans le sable vaseux et des rouges sous les petits rochers à marée basse . Appâts vivants très recherchés par les pêcheurs à qui elle les vendait ! Comme elle avait une grande clientèle , mon père se plaignait toujours de ne pas en avoir assez et nous demandait souvent d'aller lui en chercher , la grève appartenant à tout le monde ! Franchement , je ne sais pas à quoi cela ressemblait mais ça ne m'emballait pas je préfèrais de beaucoup faire des chasses au trésor qui duraient toute la journée !
Une nuit , très assoiffée , je suis descendue sur la pointe des pieds dans la cuisine pour me chercher de quoi boire . Toutes les marches du vieil escalier de bois craquaient et les cloisons , en bois également , n'étaient pas très épaisses . Donc , je mis un certain temps à descendre pour ne pas réveiller la maisonnée , il devait être trois heures du matin . J'allumai le vieil interrupteur et me dirigeai tranquillement vers le réfrigérateur .
Quand j'ai ouvert la porte et me suis penchée pour saisir la bouteille d'eau , juste au niveau de mes yeux , en pleine lumière , des espèces de longs vers , sorte de mille-pattes, nageaient dans un bocal . Evidemment , j'ai hurlé d'horreur ! Toute la famille effrayée est descendue , me regardant avec des yeux endormis . Mon père m'a expliqué que c'était ça des gravettes blanches et j'ai vraiment eu du mal à avaler une gorgée d'eau qui avait séjourné à côté de ces horreurs ! Maman a convenu que peut-être un vieux réfrigérateur installé dans le garage pourrait servir à stocker ces bestioles et mon père a promis de le faire !
Quelque temps après , je voyais mes frères qui s'achetaient plein de bonbons et des chewing gums, ils semblaient ne pas manquer d'argent de poche . Quand je les ai questionnés, ils m'ont appris que mon père payait royalement les gravettes qu'ils ramenaient pour lui de la grève .Pendant longtemps , je me suis refusée à toute collaboration , et puis la fête de la fin de juillet approchant, l'appât du gain se mit à faire du chemin dans mon esprit , et un jour , comme j'avais trouvé un bon plan je m'y suis mise !Notre voisine immédiate avait trois enfants , un jeune homme de dix-neuf ans , une jeune fille de quinze ans et un petit gamin de six ans . Très souvent , la maman obligeait la grande soeur à garder le petit frère ! Or celle-ci était ravie de se décharger sur moi , et le petit Ronan et moi-même avons commencé notre alliance de choc en matière de gravettes blanches .
On partait dès que la mer descendait , je bêchais le sable vaseux et lorsqu'une gravette pointait le bout de son nez , Ronan l'attrapait et la mettait dans le seau rempli d'eau de mer ! Quand il était bien rempli on rentrait , mon père évaluait les captures et me réglait rubis sur l'ongle ! Ensuite on allait au petit café épicerie et j'offrais à Ronan : carambars , malabars , fraises et américanos ! Tout le monde y trouvait son compte......
Et en plus , j'avais de quoi m'offrir plusieurs tours de chenille et d'auto-tamponneuse à la fête du village our le pardon de la fin de juillet !
Fin